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» — Non, non, répondait-elle ; non, vous n’en êtes pas une, car vous êtes mariée.

» — Non, Amy, je ne prétends pas du tout l’être. Il peut se marier avec vous demain, s’il le veut, malgré tout ce que je pourrais faire pour l’en empêcher. Je ne suis pas mariée. Cela et rien, c’est pour moi la même chose. »

Mais tout cela n’apaisait point Amy, et elle pleura pendant deux ou trois jours. Son chagrin cependant s’effaça par degrés.

Les choses en allaient d’ailleurs bien différemment pour Amy et pour son maître. Elle avait conservé le même bon caractère qu’elle avait toujours eu ; mais lui, au contraire, était complètement changé ; il la haïssait du fond du cœur, et l’aurait tuée, je crois, après l’aventure. Il me le dit ; car il considérait que c’était une vile action, au lieu qu’il était sans aucun scrupule sur ce que nous avions fait, lui et moi ; il le trouvait juste, et me regardait autant comme sa femme que si nous nous étions mariés tout jeunes et que nous n’eussions tous les deux jamais connu personne autre. Oui, il m’aimait, je le crois, aussi absolument que si j’avais été l’épouse de sa jeunesse. Il me disait qu’il était vrai, en un sens, qu’il avait deux femmes ; mais moi j’étais la femme de son amour, et l’autre la femme de son aversion.

Je fus extrêmement contrariée de le voir prendre Amy en haine, et je mis toute mon habileté à le faire changer ; car, bien qu’il eût, en fait, débauché la fille, je savais bien que j’en étais la cause principale. Comme c’était le meilleur homme du monde, je ne le laissai pas tranquille avant d’avoir obtenu qu’il fût doux avec elle ; et comme j’étais devenue l’agent du démon, appliquée à rendre les autres aussi mauvais que moi, je l’amenai à coucher encore avec elle plusieurs fois dans la suite, tant qu’à la fin ce que la pauvre fille avait dit arriva, et elle se trouva réellement enceinte.

Elle en fut horriblement ennuyée, et lui aussi.

« Allons, mon cher, lui dis-je, lorsque Rachel vit sa servante dans le lit de Jacob, elle prit les enfants qui en résultèrent comme les siens. Ne soyez pas inquiet ; je prendrai l’enfant comme le mien. N’ai-je pas contribué à la farce de la faire entrer dans votre lit ? C’est ma faute autant que la vôtre. »