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vous le demandera, et même que vous l’accorderez. Je suis sûre que ma maîtresse n’est pas une sotte. Allons, madame, je vous prie, laissez-moi vous sortir une chemise propre. Qu’il ne vous trouve pas avec du linge sale, la nuit des noces.

» — Si je ne savais que vous êtes une très honnête fille, Amy, lui dis-je, vous me feriez avoir horreur de vous. Vous plaidez pour le diable comme si vous étiez un de ses conseillers privés.

» — Il n’est pas question de cela ; madame ; je ne dis que ce que je pense. Vous avouez que vous aimez ce monsieur, et il vous a donné des témoignages suffisants de son affection pour vous. Vos situations sont également malheureuses, et son opinion est qu’il peut prendre une autre femme, sa première ayant failli à l’honneur et vivant loin de lui. Bien que les lois du pays ne lui permettent pas de se marier régulièrement, il pense qu’il peut prendre en ses bras une autre femme, pourvu qu’il soit fidèle à cette autre femme comme à son épouse. Bien plus, il dit qu’il est ordinaire d’agir ainsi, que c’est une coutume dans plusieurs contrées étrangères ; et, je dois l’avouer, je suis du même sentiment. Autrement, il serait au pouvoir d’une dévergondée, après qu’elle aurait trompé et abandonné son mari, de l’exclure pour toute sa vie du plaisir et des services qu’on trouve chez une femme, ce qui serait très déraisonnable, et, par le temps qui court, intolérable pour certaines personnes. Il en est de même de votre côté, madame. »

Si j’avais été en possession de tout mon bon sens, si ma raison n’avait pas été troublée par la puissante attraction d’un ami si bon et si bienfaisant, si j’avais consulté ma conscience et la vertu, j’aurais repoussé cette Amy, quelque fidèle et honnête qu’elle fût autrement à mon égard, comme une vipère, comme un instrument du diable. J’aurais dû me rappeler que ni lui ni moi, d’après les lois de Dieu comme d’après celles de l’homme, nous ne pouvions nous unir dans d’autres conditions que celles d’un adultère notoire. L’argument de cette ignorante femelle, qu’il m’avait arrachée des mains du diable, c’est-à-dire du démon de la pauvreté et de la misère, aurait dû être pour moi un puissant motif de ne pas me plonger, en retour de cette déli-