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échapper cette occasion, elle en attendrait une autre ; elle voyait d’après la conversation de la Quakeresse qu’elle n’avait pas complètement quitté son appartement, mais qu’elle était allée à la campagne pour le bon air, sans doute ; quant à elle, elle était résolue à faire le chevalier errant à sa poursuite, et à visiter tous les lieux du royaume où l’on va pour sa santé, et jusqu’à la Hollande ; en tout cas, elle me trouverait ; car elle était certaine qu’elle pourrait si bien me convaincre qu’elle était ma propre enfant que je ne le nierais pas ; et elle était sûre que j’étais si tendre et si pitoyable que je ne la laisserais pas périr après que je serais convaincue qu’elle était ma propre chair et mon propre sang. Et, en disant qu’elle visiterait tous les lieux de l’Angleterre renommés pour leur air salubre, elle les passa tous en revue par leurs noms, et commença par Tunbridge, l’endroit même où j’étais allée, puis elle énuméra, Epsom, North Hall, Barnet, Newmarket, Bury et enfin Bath ; et sur ce, elle prit congé.

Mon fidèle agent, la Quakeresse, ne manqua pas de m’écrire immédiatement ; mais comme c’était une fine aussi bien qu’une honnête femme, il se présenta tout de suite à son esprit que c’était là une histoire qui, vraie ou fausse, n’était pas très propre à être portée à la connaissance de mon mari. Comme elle ignorait ce que je pouvais avoir été et les noms dont je pouvais avoir été appelée en d’autres temps, et ce qu’il y avait ou ce qu’il n’y avait point dans tout cela, elle pensa que, si c’était un secret, il fallait me laisser le soin de le révéler moi-même ; et, si ce n’en était pas un, qu’il pouvait aussi bien être publié plus tard que maintenant ; enfin qu’elle devait laisser la chose là où elle l’avait trouvée, et ne la communiquer à personne sans mon consentement. Ces sages procédés étaient d’une inexprimable bonté, en même temps que très opportuns ; car il était assez probable que sa lettre m’aurait été remise publiquement, et, bien que mon mari n’eût pas voulu l’ouvrir, il aurait semblé un peu étrange que je lui en celasse le contenu lorsque j’avais si bien prétendu lui communiquer toutes mes affaires.

Par suite de cette prudente précaution, ma bonne amie m’écrivit seulement en quelques mots que l’impertinente jeune femme était venue chez elle, comme elle s’y attendait, et qu’elle