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qu’il eût entrepris. Mais il n’alla pas plus loin que je ne l’ai dit, et n’essaya même pas de s’asseoir sur le bord du lit avec moi. Il prit congé, en me disant qu’il m’aimait tendrement, et qu’il m’en convaincrait par des preuves dont je serais satisfaite. Je lui répondis que j’avais beaucoup de motifs de le croire, qu’il était le maître absolu de la maison et de moi-même, du moins dans les limites dont nous avions parlé et que je croyais qu’il ne franchirait pas ; et je lui demandai s’il ne voulait pas coucher là cette nuit.

Il ne pouvait guère, me dit-il, rester cette nuit, des affaires l’appelant à Londres ; mais il ajouta en souriant qu’il viendrait le lendemain et logerait une nuit chez moi. Je le pressai de rester, lui disant que je serais heureuse qu’un ami aussi précieux fût sous le même toit que moi ; et le fait est que je commençai dès lors, non seulement à lui être très reconnaissante, mais encore à l’aimer, et cela d’une manière que je n’avais jamais connue.

Oh ! qu’aucune femme ne fasse bon marché de la tentation que donne à tout esprit doué de gratitude et de principes de justice le fait d’être généreusement tiré de peine ! Ce gentleman m’avait librement et volontairement arrachée au malheur, à la pauvreté, aux haillons ; il m’avait faite ce que j’étais, et m’avait mise en passe d’être plus encore que je n’avais été jamais, je veux dire, de vivre heureuse et satisfaite ; et je n’avais à compter que sur sa libéralité. Que pouvais-je dire à ce gentleman quand il me pressait de lui céder, et raisonnait la légitimité de sa demande ? Mais nous reparlerons de cela en son lieu.

J’insistai encore pour qu’il restât cette nuit là, lui disant que c’était la première nuit complètement heureuse de ma vie que j’aurais passée dans la maison, et que je serais très fâchée de la passer sans la compagnie de celui qui était la cause et la base de tout. Nous nous amuserions innocemment ; mais, sans lui, c’était impossible. Bref, je lui fis si bien ma cour, qu’il finit par dire qu’il ne pouvait me refuser, mais qu’il allait prendre son cheval et aller à Londres pour l’affaire qu’il avait à faire — c’était je crois le payement d’une traite de l’étranger qui était échue ce soir-là et qui autrement aurait été protestée. — Il serait