Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/333

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je dis oui, bien entendu. Mais c’était pour le mieux tromper ; et ma voix et mon cœur différaient. J’étais décidée, si je le pouvais, à empêcher qu’il n’approchât le capitaine et qu’il ne le vît, quoi qu’il en arrivât.

Le soir, donc, un peu avant d’aller nous coucher, je feignis d’avoir changé d’avis et de ne plus vouloir aller à North Hall : j’avais envie d’aller d’un autre côté. Seulement je lui dis que je craignais que ses affaires ne le lui permissent pas. Il voulut savoir où c’était. Je lui répondis en souriant que je ne voulais pas le lui dire, de peur que cela ne l’obligeât à arrêter ses affaires. Il me répliqua, du même ton, mais avec infiniment plus de sincérité, qu’il n’avait pas d’affaire assez importante pour l’empêcher d’aller avec moi partout où j’avais envie d’aller.

« Si, repris-je. Vous avez besoin de parler au capitaine avant qu’il s’en aille.

» — En effet, c’est vrai, j’en ai besoin, » dit-il, et il se tut un moment ; mais il ajouta bientôt :

» Mais j’écrirai un mot à un homme qui fait des affaires pour moi et qui ira le trouver. C’est simplement pour faire signer quelques connaissements, et il pourra s’en acquitter. »

Lorsque je vis que j’avais gagné mon point, j’eus l’air d’hésiter un peu.

» Mon ami, lui dis-je, ne perdez pas une heure de vos affaires pour moi. Je retarderais d’une semaine ou deux, plutôt que de vous causer un préjudice quelconque.

» — Non, non, dit-il ; vous ne retarderez pas d’une heure pour moi, car je peux faire mes affaires par procuration avec tout le monde, hors ma femme. » Et il me prit dans ses bras et me baisa. Comme le sang me montait à la face, lorsque je songeais avec quelle sincérité, quelle affection, cet excellent gentleman embrassait le plus maudit échantillon d’hypocrisie que pressèrent jamais les bras d’un honnête homme ! Il n’était que tendresse, que bonté, que la sincérité la plus absolue ; moi, je n’étais que grimace et fraude ; ce que je faisais n’était que par manège, conduite calculée, pour cacher un passé de vice et pour l’empêcher de découvrir qu’il avait dans ses bras un diable femelle, dont tout le commerce avait été pendant vingt-