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sinon que vous ne faites pas la traversée, ce que je regrette. Mais vous connaissez vos affaires, et cela ne me regarde pas.

» — Bien, reprit mon mari ; mais il faut que je vous donne quelque compensation pour le marché rompu. » — Et il tira son argent.

« — Non, non, » dit le capitaine. Et ils se mirent à faire assaut de politesses, mais à la fin mon époux lui donna trois ou quatre guinées, et les lui fit garder. Ce premier sujet de conversation étant ainsi épuisé, ils n’en reparlèrent plus.

Mais cela n’alla pas aussi aisément avec moi. Les nuages s’épaississaient, j’avais maintenant des sujets d’alarme de tout côté. Mon mari me raconta ce que le capitaine avait dit ; très heureusement, il se figura que le capitaine avait rapporté une histoire par moitié, et que, l’ayant entendue d’une manière, il l’avait répétée d’une autre, de sorte que, s’il n’avait pu comprendre le capitaine, c’est que le capitaine ne se comprenait pas lui-même. Aussi se contentait-il de me reproduire mot pour mot ce que le capitaine avait dit.

Comment j’empêchai mon mari de découvrir mon trouble, vous allez l’apprendre tout à l’heure ; qu’il me suffise de dire pour le moment que, si mon mari ne comprenait pas le capitaine et si le capitaine ne se comprenait pas lui-même, je les comprenais parfaitement tous les deux ; et, à dire la vérité, c’était le plus rude choc que j’eusse encore eu à supporter. Mais, sous le coup de la nécessité, j’inventai un mouvement soudain pour éviter de montrer ma surprise : nous étions, mon époux et moi, assis à une petite table près du feu ; j’étendis la main, comme pour prendre une cuillère qui était de l’autre côté, et je renversai une des chandelles de dessus la table ; alors, la ramassant, je me redressai, puis me penchai de nouveau pour regarder le devant de ma robe, que je pris dans ma main en m’écriant :

« Oh ! ma robe est gâtée. La chandelle l’a toute graissée. »

Ceci me fournit auprès de mon époux une excuse pour rompre provisoirement l’entretien, et pour appeler Amy. Amy ne venant pas aussitôt :

« Mon ami, lui dis-je, il faut que je coure là-haut et que je laisse cette robe pour qu’Amy la nettoie un peu. »