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Dès qu’elles se furent retirées, je montai en courant chez Amy et je donnai issue à mon émotion en lui racontant toute l’histoire, et en lui montrant dans quelles calamités une fausse démarche de sa part avait été malheureusement sur le point de nous envelopper et de telle façon qu’il n’aurait peut-être pas suffi de toute notre existence pour nous en dégager. Amy le sentait assez, et était précisément en train de soulager sa rage d’une autre manière, c’est-à-dire en maudissant la pauvre fille de tous les noms de coquine et de sotte, sans compter d’autres plus vilains, qu’elle pouvait imaginer. C’est au milieu de cette occupation que survint mon honnête hôtesse, la bonne Quakeresse, ce qui mit fin à nos discours. La Quakeresse entra en souriant, car elle était toujours gaie, mais avec mesure, et me dit :

« Eh bien ! te voilà délivrée à la fin. Je viens m’en réjouir avec toi. Je voyais bien que tu étais assommée de tes visiteuses.

» — Vraiment je l’étais, répondis-je. Cette sotte jeune fille nous a fait avaler un vrai conte de Canterbury[1] ; et je croyais qu’elle n’en aurait jamais fini.

» — Eh ! j’ai vraiment trouvé qu’elle avait grand soin de te faire savoir qu’elle n’était que fille de cuisine.

» — Oui, et dans une maison de jeu, ou un tripot, à l’autre bout de la ville ; toutes choses qui ne sont guère capables, elle devrait le savoir, soit dit en passant, d’ajouter à sa renommée chez nous, braves bourgeois.

» — Je ne peux pas ne pas croire, dit la Quakeresse, qu’elle avait quelque autre but dans tout ce long discours. Elle a en tête quelque chose autre ; j’ai la satisfaction de n’en pas douter. »

— Vous en avez la satisfaction ! pensai-je. À coup sûr, je n’en suis pas plus satisfaite, pour mon compte, au contraire ; et c’est une mince satisfaction pour moi que de vous entendre parler ainsi. Qu’est-ce que cela peut-être ? Et quand mes inquiétudes auront-elles une fin. — Mais je disais ceci silen-

  1. Allusion aux Canterbury Tales du poète Chaucer. (N. D. T.)