Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.

le monde le discernerait. Je devais croire qu’elle s’apercevrait qu’elle me connaissait, et cependant, il me fallait, par tous les moyens, l’en empêcher. J’avais à me cacher, si possible, et je n’avais pas la moindre facilité pour faire rien dans ce but ; bref, il n’y avait point de retraite, pas d’échappatoire, aucun moyen d’éviter ou d’empêcher qu’elle ne me vît en plein, ni de contrefaire ma voix, car alors mon mari s’en serait aperçu. En somme, pas la moindre chose qui m’offrît aucune assistance, ni rien qui m’aidât ou me favorisât dans cette pressante difficulté.

J’étais sur le gril depuis près d’une demi-heure, pendant laquelle je me montrai raide, réservée et un peu trop cérémonieuse, lorsque mon époux et le capitaine entamèrent une conversation sur le navire, sur la mer et sur des sujets qui nous sont étrangers à nous autres, femmes ; peu à peu le capitaine l’emmena sur le pont, et nous laissa seules dans la grande cabine. Nous commençâmes alors à être un peu plus libres les unes avec les autres, et je me mis à renaître quelque peu grâce à une imagination soudaine qui me vint : je crus m’apercevoir que la fille ne me reconnaissait pas ; et ma principale raison pour avoir une telle idée fut que je n’apercevais pas le moindre trouble dans sa physionomie, pas le moindre changement dans sa manière d’être, pas de confusion, ni d’hésitation dans ses discours. Je ne remarquai pas non plus, — et c’était une chose à laquelle je faisais une attention particulière, — qu’elle fixât beaucoup ses yeux sur moi ; je veux dire qu’elle ne me regardait pas constamment et à l’exclusion des autres, comme je pensais qu’elle aurait dû le faire ; elle prenait plutôt à part mon amie la Quakeresse, et bavardait avec elle de différentes choses ; mais j’observai aussi que ce n’était que de choses indifférentes.

Ceci me donna beaucoup de courage, et je repris un peu de gaîté. Mais je fus de nouveau étourdie comme d’un coup de tonnerre quand, se tournant vers la femme du capitaine et parlant de moi, elle lui dit :

« Sœur, je ne puis m’empêcher de trouver que madame ressemble beaucoup à telle personne. »

Et elle lui nomma la personne, et la femme du capitaine dit qu’elle le trouvait aussi. La fille reprit qu’elle était sûre de