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selle (c’est ainsi qu’on les appelle toutes), sa camarade de lit, au point qu’elles s’appelaient sœurs et qu’elles s’étaient promis de ne jamais briser leur amitié.

Mais jugez de l’inexprimable surprise que je dus ressentir lorsque j’arrivai à bord du navire et que je fus introduite dans la cabine du capitaine ou, comme on l’appelle, la grande cabine du vaisseau, de voir sa dame ou femme, et, à côté d’elle, une jeune personne qui, lorsque je pus la considérer de près, était mon ancienne fille de cuisine du Pall Mall, et, comme le reste de l’histoire l’a montré, ni plus ni moins que ma propre fille. Que je la reconnusse, cela ne faisait pas de doute ; car, si elle n’avait pas eu l’occasion de me voir bien des fois, moi je l’avais vue assez souvent, comme cela devait être, puisqu’elle était restée chez moi si longtemps.

Je fus d’abord sur le point de feindre une faiblesse ou un évanouissement, de tomber sur le sol, ou plutôt sur le plancher, de les mettre tous en confusion et en effroi, et, par ce moyen, de me donner l’occasion de tenir continuellement quelque chose à mon nez, pour le sentir, et de garder ainsi ma main, ou mon mouchoir, ou l’un et l’autre, devant ma bouche ; puis j’aurais prétendu que je ne pouvais supporter l’odeur du navire, ou l’air renfermé de la cabine. Mais cela n’aurait abouti qu’à me faire transporter à un air plus pur sur le pont, où nous aurions eu, en même temps, une lumière plus pure aussi. Si j’avais prétexté l’odeur du navire, cela n’aurait servi qu’à nous faire conduire tous à terre, à la maison du capitaine, qui était tout près ; car le navire était amarré si près du rivage qu’il n’y avait, pour arriver à bord, qu’à traverser une planche et le pont d’un autre navire placé entre lui et la terre. Ceci ne me parut donc pas faisable, et l’idée n’en était pas vieille de deux minutes qu’il n’était plus temps ; car les deux dames se levèrent et nous nous saluâmes, de sorte que je dus venir assez près de ma drôlesse pour la baiser, ce que je n’aurais pas fait s’il avait été possible de l’éviter ; mais il n’y avait pas moyen d’y échapper.

Je ne peux pas ne pas noter ici que, bien qu’il y eût une secrète horreur dans mon âme, et que je fusse près de m’affais-