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Elle continua de ce ton et me donna tous les détails ; mais assurément il n’y eut jamais personne de si étonnée que moi lorsqu’elle me dit que la fille savait que j’étais mariée, qu’elle connaissait le nom de mon mari et qu’elle allait faire ses efforts pour me trouver. Je pensais rentrer sous terre rien qu’en l’entendant dire. Au milieu de toute ma stupéfaction, voilà Amy qui se lève, court à travers la chambre comme une insensée, criant :

» Je mettrai fin à cela ; j’y mettrai fin. Ça ne peut pas durer. Il faut que je la tue ! je tuerai la carogne, j’en jure par son Auteur. »

Elle disait cela du ton le plus sérieux du monde, et elle le répéta trois ou quatre fois, marchant çà et là dans la chambre.

« Oui, oui, je la tuerai, pour finir, quand il n’y aurait qu’elle de fille au monde. »

» — Tiens ta langue, Amy, je te prie, lui dis-je. Tu es donc folle ?

» — Oui, je le suis, folle, absolument ; mais ça ne m’empêchera pas d’être la mort de celle-là, et je redeviendrai raisonnable.

» — Mais, vous ne toucherez pas, m’écriai-je, vous ne toucherez pas un cheveu de sa tête, entendez-vous ? Eh quoi ! vous mériteriez d’être pendue pour ce que vous avez fait déjà, pour avoir eu la volonté de le faire ; quant au crime, vous êtes déjà un assassin, comme si vous l’aviez accompli.

» — Je sais cela, répondit Amy, et ça ne peut pas être pis. Je vous tirerai de peine, et elle aussi ; elle ne vous réclamera jamais pour sa mère en ce monde, quoi qu’elle puisse faire dans l’autre.

» — Bien, bien, repris-je ; calmez-vous et ne parlez pas ainsi. Je ne saurais le supporter.

Et elle devint un peu plus raisonnable au bout d’un petit moment.

Je dois reconnaître que l’idée d’être découverte portait avec elle de telles épouvantes et troublait tellement mes pensées que je n’étais guère plus maîtresse de moi qu’Amy ne l’était d’elle-même, tant est redoutable le fardeau du crime sur l’esprit.