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J’étais très contrariée de ne pas m’être arrêtée un peu au milieu de mon discours, et de pas lui avoir fait prendre un verre de vin avant de jeter ses esprits dans une si violente émotion ; mais il était trop tard, et il y avait dix à parier contre un que cela ne la tuerait pas.

Elle revint à elle enfin, et commença à répondre par d’excellentes paroles à mes marques d’affection. Je ne voulus pas la laisser continuer, et lui déclarai que j’avais encore à lui dire plus que tout cela, mais que j’allais la laisser tranquille jusqu’à une autre fois. Je pensais à la boîte d’argenterie, dont je lui donnai une bonne part ; j’en donnai aussi un peu à Amy, car j’en avais tant, et des pièces si grosses, que je pensais que si je la laissais voir à mon mari, il serait capable de se demander à quel propos j’en avais une si grande quantité et d’un tel genre ; surtout un grand seau pour les bouteilles, qui coûtait cent vingt cinq livres sterling, et quelques grands candélabres, trop gros pour un usage ordinaire. Ces objets-là, je les fis vendre par Amy. Bref Amy en vendit pour plus de trois cents livres ; ce que je donnai à la Quakeresse valait plus de soixante livres ; j’en donnai à Amy pour plus de trente livres, et il m’en resta encore une grande quantité pour mon mari.

Et notre libéralité pour la Quakeresse ne s’arrêta pas aux quarante livres par an ; car pendant tout le temps que nous restâmes chez elle, c’est-à-dire pendant plus de dix mois, nous fûmes toujours à lui donner une chose ou l’autre. En un mot, au lieu que nous logions chez elle, c’était elle qui prenait pension chez nous, car je tenais la maison ; elle et toute sa famille mangeaient avec nous, et, malgré cela, nous lui payions encore le loyer. Bref, je me rappelais mon veuvage, et je me plaisais à cause de cela à réjouir longtemps le cœur de cette veuve. Enfin, mon époux et moi, nous commençâmes à songer à passer en Hollande, où je lui avais proposé de demeurer ; et, afin de bien régler les préliminaires de notre future manière de vivre, je me mis à réaliser toute ma fortune, de façon à avoir tout à notre disposition pour la première occasion que nous jugerions convenable ; après quoi, un matin, j’appelai mon époux près de moi.