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pour y faire aucun travail, pas même pour y défoncer le sol de manière à y semer quelques navets et quelques carottes pour les besoins de la famille. Lorsqu’il l’eut examiné, il rentra, et envoya Amy chercher un pauvre homme, qui était jardinier et aidait autrefois notre domestique ; il l’amena dans le jardin et lui ordonna d’y faire plusieurs choses pour le remettre un peu en ordre. Ceci lui prit bien près d’une heure.

Pendant ce temps, je m’étais habillée aussi bien que je le pouvais. J’avais encore d’assez bon linge ; mais je n’avais qu’une pauvre coiffure ; pas de nœuds, seulement de vieux morceaux ; pas de collier : pas de boucles d’oreilles ; tant cela était parti depuis longtemps, pour avoir un peu de pain.

Cependant, j’étais proprement et soigneusement mise, et en meilleur état qu’il ne m’avait vue depuis bien longtemps ; et il parut enchanté de me voir ainsi ; car, dit-il, je paraissais si inconsolable et si désespérée auparavant, que cela l’affligeait de me regarder. Il m’engagea à reprendre bon courage, parce qu’il espérait me mettre en position de vivre dans le monde, sans rien devoir à personne.

Je lui dis que c’était impossible, car il me faudrait nécessairement être redevable à lui, puisque tous les amis que j’avais au monde ne voulaient ou ne pouvaient faire pour moi autant que ce qu’il disait.

« Eh bien, dit-il, pauvre veuve (c’est ainsi qu’il m’appelait, et je l’étais bien véritablement dans le plus mauvais sens où l’on puisse employer ce mot de désolation), si vous êtes redevable à moi, vous ne le serez à personne autre. »

Cependant le dîner était prêt, et Amy entra pour mettre la nappe. C’était un bonheur, en vérité, qu’il n’y eût que lui et moi à dîner, car je n’avais plus que six assiettes et deux plats dans la maison. Mais il savait l’état des choses, et il me pria de ne pas faire de cérémonie et de me servir de ce que j’avais. Il espérait, ajoutait-il, me voir dans un meilleur équipage. Il n’était pas venu pour être traité, mais pour me traiter, me raffermir et m’encourager. Il continua ainsi, me parlant si gaiement et de choses si gaies que c’était pour mon âme un vrai cordial que de l’entendre parler.