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femme, ce serait le dernier cadeau que je ferais à qui que ce fût au monde, excepté à Amy ; quant à celle-ci, nous n’allions pas la laisser de côté, mais, dès qu’il s’offrirait quelque chose pour elle, nous verrions à agir suivant les motifs que nous aurions ; en attendant, Amy n’était pas pauvre ; elle avait bien économisé de sept à huit cents livres sterling ; à ce propos, je ne lui dis pas comment, ni par quelles voies coupables elles les avaient amassées, mais je lui dis qu’elle l’avait fait ; et c’était assez pour lui faire comprendre qu’elle n’aurait jamais besoin de nous.

Mon époux fut extrêmement satisfait de mes paroles au sujet de la Quakeresse, il me fit une espèce de discours sur la gratitude, me dit que c’était une des plus brillantes qualités d’une femme comme il faut ; que c’était si intimement lié à l’honnêteté, bien plus, à la religion même, qu’il se demandait si l’une ou l’autre pouvaient se trouver là où la gratitude n’était pas ; que, dans le cas présent, il y avait non seulement gratitude, mais charité ; et que, pour rendre la charité plus véritablement chrétienne encore, la personne qui en était l’objet avait un mérite réel pour attirer ces bienfaits ; il consentait donc à la chose de tout son cœur, me demandant seulement de le laisser en faire la dépense de ses propres fonds.

Je lui répondis que, quant à cela, quoi que j’eusse dit autrefois, je n’avais pas dessein que nous eussions deux bourses. Je lui avais, en effet, parlé d’être une femme libre, une indépendante, et le reste, et il m’avait offert et promis de me laisser ma fortune entre les mains ; mais, puisque je l’avais pris, je voulais faire ce que font les honnêtes femmes, et là où je jugeais bon de me donner moi-même, je donnerais ce que j’avais aussi. Si j’en réservais quelque chose, ce ne serait que dans le cas de mort, et afin de pouvoir le donner à ses enfants ensuite comme un don venant en propre de moi. Bref, s’il jugeait convenable de réunir nos biens, nous verrions dès le lendemain matin quelle force nous pouvions à nous deux déployer dans le monde, et, considérer en somme, avant de nous décider sur le lieu de notre déplacement, comment nous disposerions de ce que nous avions aussi bien que de nos personnes. Ce discours était trop