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Quakeresse, et l’obligeai à s’en servir non comme de la mienne, mais comme de la sienne propre, pour une raison que je donnerai tout à l’heure.

J’étais maintenant Lady ***, et je dois avouer que j’en étais excessivement contente. C’était si grand, si relevé, de m’entendre appeler « Madame la Baronne » (Her Ladyship ; Your Ladyship), et le reste, que je ressemblais à ce roi indien de Virginie, qui, s’étant fait construire une maison par les Anglais, et mettre une serrure à la porte, restait des jours entiers la clef à la main, fermant, ouvrant, refermant à double tour la porte, et prenant un indicible plaisir à cette nouveauté. Je serais ainsi restée toute une journée à écouter Amy me parler et m’appeler Your Ladyship à chaque mot. Cependant, au bout d’un temps, la nouveauté s’usa, l’orgueil que j’en concevais s’abattit, et à la fin, je désirai l’autre titre autant que j’avais désiré auparavant celui de lady.

Nous passâmes cette semaine avec toute la gaieté innocente qu’on peut imaginer, et notre excellente Quakeresse fut si aimable à sa manière que cela nous causait un plaisir particulier. Nous n’avions pas du tout de musique, ni de danse ; de temps en temps seulement je chantais un air français pour divertir mon époux qui le désirait, et l’intimité de nos plaisirs ajoutait beaucoup à leur agrément. Je ne fis pas faire beaucoup de robes pour mon mariage, ayant toujours eu avec moi un grand nombre de riches vêtements, lesquels, avec quelques modifications pour les remettre à la mode, se trouvaient parfaitement neufs. Le lendemain de la cérémonie, il me pressait de m’habiller, bien que nous n’eussions personne. À la fin, tout en plaisantant, je lui dis que je croyais être capable de m’habiller, avec un certain costume que j’avais, de telle façon, qu’il ne reconnaîtrait pas sa femme en la voyant ; surtout s’il y avait une autre personne là. Il dit que non, que c’était impossible ; et il souhaita vivement voir ce costume. Je lui dis que je le revêtirais s’il voulait me promettre de ne jamais me demander de me montrer ainsi vêtue devant du monde. Il me promit de ne pas le faire, mais de son côté, il voulut savoir pourquoi, car les maris, vous le savez, sont des êtres curieux, et aiment à s’enquérir des choses