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marchand s’aperçut que j’étais en proie à quelque désordre inaccoutumé. Il croyait, me dit-il, que mon mal, quel qu’il fût, était surtout dans ma tête ; et comme il faisait un temps d’été et très chaud, il me proposa de sortir un peu au grand air.

Je sursautai à ce mot.

« Eh quoi, lui dis-je, me croyez-vous folle ? C’est une maison d’aliénés, alors, que vous devriez proposer pour me guérir. »

» — Non, non, dit-il, je ne veux rien dire de semblable. J’espère que la tête peut être malade et non vraiment le cerveau. »

Je ne savais que trop qu’il avait raison, car je n’ignorais pas que j’avais joué une sorte de rôle insensé vis-à-vis de lui. Mais il insista et me pressa d’aller à la campagne. Je le relevai de nouveau.

« Quel besoin avez-vous, lui dis-je, de m’écarter de votre chemin ? Il est en votre pouvoir d’être moins ennuyé par moi, sans tant nous gêner l’un et l’autre. »

Il le prit mal, et me dit que j’avais d’ordinaire meilleure opinion de sa sincérité. Il me demanda ce que j’avais fait pour perdre ma charité. — Je ne mentionne ceci que pour vous faire voir combien j’étais allée loin dans mon dessein de le quitter, c’est-à-dire combien j’étais près de lui montrer avec quelle bassesse, quelle ingratitude et quelle indignité j’étais capable d’agir. Mais je m’aperçus que j’avais poussé la plaisanterie assez loin, qu’il ne faudrait pas grand’chose de plus pour le dégoûter de moi encore une fois, comme il l’avait été déjà. Je me mis donc, par degrés, à changer ma façon de parler, et à remettre la conversation sur la véritable question, comme autrefois.

Quelque temps après, un jour que nous étions très gais et que nous causions familièrement ensemble, il m’appela, avec un air de satisfaction particulière, sa princesse. Je rougis à ce mot, car il me touchait au vif ; mais il ne savait rien de la raison pour laquelle j’en étais ainsi touchée.

« Que voulez-vous dire par là ? demandais-je.

» — Ma foi, dit-il, je ne veux rien dire, ci ce n’est que vous êtes une princesse pour moi.