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malheur dont elle avait entendu parler, et dans lequel il avait perdu plus de huit mille livres sterling ; et qu’il me l’avait dit franchement avant qu’elle m’en eût envoyé aucune nouvelle, ou du moins avant que j’eusse fait connaître en aucune manière que j’en avais entendu parler.

Amy fut enchantée de cela.

« Eh bien ! alors, madame, dit-elle, quel besoin avez-vous de vous occuper de l’histoire du prince, et d’aller je ne sais où en Allemagne laisser vos os dans un monde étranger, et apprendre ce langage de diable qu’on appelle le haut allemand ? Vous êtes la moitié mieux ici. Eh ! madame, n’êtes-vous pas aussi riche que Crassus ? »

Eh bien ! je fus longtemps avant de pouvoir revenir de cette principauté imaginaire ; et moi qui voulais tant jadis être la maîtresse d’un roi, j’étais maintenant dix mille fois plus désireuse d’être la femme d’un prince.

Si forte est la prise que l’orgueil et l’ambition ont sur nos esprits que lorsqu’une fois ils ont accès, il n’y a rien de si chimérique dont, sous l’influence de cette possession, nous ne soyons capables de nous former des idées dans notre fantaisie, et que nous ne réalisions dans notre imagination. Rien n’est si ridicule que les plus simples démarches que nous faisons en des cas semblables. Homme ou femme, on devient alors un pur malade imaginaire[1], et l’on peut, je crois, aussi aisément mourir de douleur ou devenir fou de joie (suivant que la chose apparaît à notre imagination heureuse ou malheureuse) que si tout était réel, et dépendait effectivement de l’action de la personne intéressée.

J’avais, il est vrai, deux aides pour me retirer de ce piège. Le premier était Amy, qui connaissait ma maladie, mais qui n’était pas capable d’y apporter aucun remède ; le second était le marchand, qui, lui, apportait le remède, mais n’avait aucune connaissance du mal.

Je me souviens que lorsque mon esprit était sous le coup de tout ce trouble, dans une des visites qu’il me fit, mon ami le

  1. En français dans le texte de Defoe.