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dans cet état d’incertitude encore une autre quinzaine ; et si j’avais persisté dans la résolution d’en user avec mon marchand de la dure manière que je m’étais proposée, j’aurais peut-être fait un très mauvais ouvrage ; et il était très heureux que le cœur m’eût manqué comme il l’avait fait.

Cependant, je me servis vis-à-vis de lui de quantité d’artifices, et inventai des histoires pour écarter toute conversation plus intime que celles que nous avions eues déjà, afin de pouvoir agir plus tard d’une façon ou de l’autre, suivant l’occasion qui s’offrirait. Mais ce qui me contrariait le plus, c’était qu’Amy n’écrivait pas, quoique les quinze jours fussent expirés. À la fin, à ma grande surprise, comme j’étais à la fenêtre regardant avec la dernière impatience, dans l’attente du facteur qui apportait d’ordinaire les lettres de l’étranger, je fus, dis-je, agréablement surprise de voir un carrosse s’arrêter à la porte cochère de la maison où je demeurais, et ma femme de chambre, Amy, en sortir et s’avancer vers la porte d’entrée, suivie par le cocher qui portait plusieurs paquets.

Je descendis l’escalier comme un éclair pour lui parler, mais ce qu’elle me dit me jeta aussitôt comme une douche d’eau froide.

« Le prince est-il mort ou vivant, Amy ? »

Froidement et indifféremment :

« Il est vivant, madame, dit-elle, mais cela n’importe guère. J’aimerais autant qu’il fût mort. »

Nous montâmes ainsi à ma chambre, et là nous nous mîmes à causer sérieusement de toute l’affaire.

D’abord, elle me raconta longuement la blessure qu’il avait reçue d’un sanglier, la condition à laquelle il avait été réduit, telle que tout le monde s’attendait à sa mort, l’angoisse de la blessure lui ayant donné la fièvre, avec quantité de circonstances trop longues à relater ; comment il était revenu de cet extrême danger, mais était resté très faible ; comment le gentilhomme avait été homme de parole[1], et avait renvoyé le courrier aussi ponctuellement que si ç’avait été au roi ; qu’il

  1. En français dans le texte de Defoe.