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que de supposer un homme méchant parce qu’il est charitable, et vicieux parce qu’il est bon.

» — Oh ! madame, dit Amy, il y a toute une source de charité dans ce vice-là. Il n’est pas si étranger aux choses du monde qu’il ne sache bien que la pauvreté est l’aiguillon le plus fort, une tentation à laquelle nulle vertu n’est assez puissante pour résister. Il connaît notre condition aussi bien que nous.

» — Eh bien ! et après, quoi ?

» — Eh bien ! après, il sait aussi que vous êtes jeune et belle, et il a la plus sûre amorce du monde pour vous prendre avec.

» — Soit, Amy, dis-je ; mais il peut aussi se trouver déçu dans une affaire comme celle-là.

» — Ah ! madame, dit Amy, j’espère que vous ne le refuserez pas, s’il l’offre.

» — Qu’entendez-vous par là, friponne ? lui dis-je. Non. Je mourrais de faim auparavant.

» — J’espère que non, madame. J’espère que vous seriez plus sage. Je suis sûre que s’il veut vous remettre sur pied, comme il le dit, vous ne devez rien lui refuser. Mais vous mourrez de faim si vous n’y consentez pas, c’est certain.

» — Quoi ! consentir à coucher avec lui pour avoir du pain ? Amy, comment pouvez-vous parler ainsi ? lui dis-je.

» — Eh ! madame, dit Amy, je ne crois pas que vous le fassiez pour rien autre chose. Ce ne serait légitime pour rien autre chose. Mais pour avoir du pain, madame ! Eh ! personne ne saurait mourir de faim. Il n’y a pas de moyen de se soumettre à cela, à coup sûr !

» — Oui, dis-je. Mais s’il veut me donner assez de bien pour vivre, il ne couchera pas avec moi, je vous en réponds.

» — Eh bien, voyez-vous, madame, s’il voulait vous donner assez pour vivre à l’aise, en retour, il pourrait coucher avec moi, de tout mon cœur.

» — Voilà un témoignage d’incomparable affection pour moi, Amy, lui dis-je ; et je sais l’apprécier à sa valeur. Mais il y a là plus d’amitié que d’honnêteté, Amy.

» — Oh ! madame, dit Amy, je ferais n’importe quoi pour