Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/258

Cette page a été validée par deux contributeurs.

temps, m’étudiant méchamment à trouver le moyen d’écarter le marchand et de m’en débarrasser pour toujours.

Il faut bien que j’avoue que parfois la bassesse de ma conduite me frappait cruellement ; l’honneur, la sincérité dont il avait toujours usé avec moi, et surtout la fidèle probité qu’il m’avait montrée à Paris, la pensée que je lui devais la vie, tout cela, dis-je, se dressait devant moi, et fréquemment je discutais avec moi-même sur les obligations que je lui avais, me représentant combien il serait indigne maintenant, après tant de dettes de reconnaissance et d’engagements, de le rejeter brusquement.

Mais les titres d’altesse et de princesse, et toutes ces belles choses, à mesure qu’elles me venaient à l’esprit, contrebalançaient tout cela ; et le sentiment de la gratitude s’évanouissait comme si c’eût été une ombre.

D’autres fois, je réfléchissais aux richesses que je possédais, me disant que, sans être princesse, je pouvais vivre comme une princesse, et que mon marchand (car il m’avait raconté toute l’histoire de ses malheurs) était bien loin d’être pauvre, ou même gêné ; ensemble, nous pouvions faire une fortune totale de trois à quatre mille livres sterling par an, ce qui était en soi égal à celles de certains princes étrangers. Mais bien que cela fût vrai, le nom de princesse, l’éclat qu’il comporte, en un mot, l’orgueil emportait le plateau de la balance ; et toutes ces discussions finissaient d’ordinaire au désavantage du marchand. Bref, je résolus de le lâcher, et de lui donner une réponse définitive à sa prochaine visite, à savoir qu’il était survenu quelque chose dans mes affaires qui m’obligeait à changer inopinément mes projets, et qu’en un mot je le priais de ne pas se déranger davantage.

Je crois véritablement que la grossièreté avec laquelle je le traitai fut l’effet d’une fermentation violente et momentanée du sang ; car l’agitation dans laquelle la seule contemplation des grandeurs que j’imaginais avait pris mes esprits, m’avait jetée dans une sorte de fièvre, et je savais à peine ce que je faisais.

Je me suis étonnée depuis que cela ne m’eût pas rendue folle ; et je ne trouve pas étrange aujourd’hui d’entendre parler de celles