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moins d’y paraître publiquement, j’étais décidée, si je l’épousais, de demeurer à l’écart en province ou de quitter l’Angleterre avec lui.

Mais, dans une heure de malheur, la lettre d’Amy arriva, au beau milieu de tous ces entretiens ; et les belles choses qu’elle disait du prince commencèrent à faire un étrange travail en moi. L’idée d’être princesse, d’aller vivre au loin, là où tout ce qui s’était passé ici serait inconnu et oublié (hors dans ma conscience) était fortement tentante ; la pensée d’être entourée de domestiques, honorée de titres, d’être appelée Son Altesse, de vivre dans toutes les splendeurs d’une cour, et, ce qui était plus encore, dans les bras d’un homme de ce rang, qui, je le savais, m’aimait et m’appréciait, tout cela, en un mot, m’éblouissait la vue, me tournait la tête, et, pendant une quinzaine, je fus réellement aussi folle et aussi aliénée que la plupart des pensionnaires de Bedlam, sans cependant être peut-être aussi incurable qu’eux.

Lorsque mon gentleman vint la fois suivante, je n’avais plus la moindre idée sur lui, j’aurais voulu ne l’avoir jamais reçu ; bref, je résolus de n’avoir plus à lui rien dire davantage, et, en conséquence, je feignis d’être malade. Je descendis cependant pour le voir et lui parler un peu, mais je lui montrai que j’étais trop malade pour tenir compagnie, comme on dit, et qu’il serait charitable de sa part de me permettre de le laisser pour cette fois.

Le lendemain matin il envoya son laquais s’informer comment j’allais. Je lui fis dire que j’avais un gros rhume, qui me rendait très malade. Deux jours plus tard, il revint, et je me laissai voir ; mais je feignis d’être enrouée au point de pouvoir à peine me faire entendre, et d’être triste d’être réduite à parler tout bas. En un mot, je le tins ainsi en suspens pendant trois semaines.

Durant ce temps, mon esprit se gonflait étrangement. Le prince, ou l’idée du prince, prenait tellement possession de moi, que je passai presque tout mon temps à m’imaginer tout ce qu’il y aurait de grand à vivre avec le prince, comme je l’entendais, me délectant des splendeurs dont je me figurais jouir, et, en même