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J’avais remarqué qu’il avait deux ou trois fois fait allusion dans ses discours à des malheurs qu’il avait eus, et j’étais un peu surprise de cette expression, surtout de ce qu’il la répétait si souvent. Mais je fis comme si je n’y avais pas donné d’attention.

Il me remercia de ma bonté envers l’enfant avec une tendresse qui montrait la sincérité de tout ce qu’il avait dit auparavant, et qui accrut le regret avec lequel, comme je l’ai dit, je songeais au peu d’affection que j’avais montrée au pauvre petit. Il me dit qu’il ne désirait pas me l’enlever, si ce n’était pour le faire entrer dans le monde comme étant à lui ; chose qu’il pouvait encore faire, ayant vécu loin de ses autres enfants (il avait deux fils et une fille qui étaient élevés à Nimègue, en Hollande, chez une de ses sœurs) si longtemps qu’il pouvait parfaitement envoyer un autre fils de dix ans pour être élevé avec eux, en supposant la mère morte ou vivante, suivant l’occasion. Et puisque j’étais décidée à si bien agir pour l’enfant, il ajouterait quelque chose de considérable, quoiqu’il eût eu de grandes déceptions — il répéta le mot —, et ne pût pas faire pour lui tout ce qu’il aurait fait autrement.

Je me crus alors obligée de remarquer qu’il parlait souvent des déceptions qu’il avait éprouvées. Je lui dis que j’étais fâchée d’apprendre qu’il avait éprouvé quoi que ce fût d’affligeant dans le monde ; que je ne voudrais pas que rien de ce qui m’appartenait vînt ajouter à sa perte, ou diminuer ce qu’il pouvait faire pour ses autres enfants, et que je ne consentirais pas à ce qu’il emmenât l’enfant, bien que ce fût infiniment à l’avantage de celui-ci, à moins qu’il ne me promît que toute la dépense serait pour moi ; et que, s’il ne pensait pas que cinq mille livres fussent assez, je donnerais davantage.

Nous parlâmes tant de cela et de nos vieilles affaires, que tout le temps de sa première visite se passa ainsi. Je le pressai un peu de me dire comment il était arrivé à me trouver ; mais il écarta cela pour cette fois, et, se contentant d’obtenir l’autorisation de revenir me voir, il partit. En vérité, j’avais le cœur si plein de ce qu’il m’avait dit, que je fus contente quand il fut parti. Par moment, j’étais pleine de tendresse et d’affection pour