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me surprit et m’irrita, et je commençai à me demander quelle espèce d’entrevue cérémonieuse cela allait être. Cependant, lorsqu’il se fut aperçu que l’autre femme était partie, il eut une sorte d’hésitation, et regardant autour de lui :

« Vraiment, dit-il, je croyais que cette dame ne s’était pas retirée. »

En même temps il me prit dans ses bras et me donna trois ou quatre baisers. Mais moi, qui étais extrêmement mal disposée par la froideur de ses premiers saluts lorsque je n’en savais pas la cause, je ne pus changer complètement l’effet produit, maintenant que je le savais. Je crus même que son retour et ses embrassements ne paraissaient pas avoir la même ardeur dont il avait l’habitude de m’accueillir ; et ceci me fit me conduire gauchement et je ne sais comment, pendant un temps assez long. Mais nous allons y venir.

Il débuta par s’extasier en quelque sorte sur le fait de m’avoir trouvée ; comment se pouvait-il qu’il fût depuis quatre ans en Angleterre et qu’il eût employé tous les moyens imaginables, sans jamais réussir à avoir la moindre indication sur mon compte ni sur personne qui me ressemblât : il y avait deux ans qu’il avait fini par désespérer et par abandonner toute recherche ; et maintenant il buttait dans moi, pour ainsi dire, lorsqu’il ne s’y attendait pas et ne me cherchait plus.

J’aurais aisément pu lui expliquer pourquoi il ne m’avait pas trouvée, en lui exposant seulement les raisons réelles de ma retraite ; mais j’y donnai un autre tour, et un tour vraiment hypocrite. Je lui dis que tous ceux qui connaissaient le genre de vie que je menais pouvaient lui expliquer pourquoi il ne m’avait pas trouvée ; dans la retraite que j’avais adoptée, il y avait cent mille à parier contre un qu’il ne me trouverait pas du tout ; j’avais abandonné tout commerce avec le monde, pris un autre nom, vécu éloignée de Londres et sans y conserver une seule connaissance ; il n’était donc pas étonnant qu’il ne m’eût pas rencontrée. Mon costume même lui faisait voir que je désirais n’être connue de personne.

Alors il me demanda si je n’avais pas reçu des lettres de lui. Je lui dis que non, qu’il n’avait pas jugé à propos de me faire