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une salle à manger, à côté du salon où il était. Mais là je m’arrêtai, et la priai de me laisser réfléchir un peu.

« Fais donc, dit-elle. Réfléchis, je vais revenir. »

Et elle me laissa avec plus de promptitude encore qu’auparavant.

Bien que je restasse ainsi en suspens avec une gaucherie qui réellement n’était pas feinte, cependant, lorsqu’elle me quitta si promptement, je pensai que ce n’était pas bien aimable, et qu’elle aurait pu me presser encore un peu ; tellement nous hésitons sottement à saisir la chose que nous désirons le plus au monde. Nous nous jouons nous-mêmes par une feinte répugnance, lorsque le refus absolu serait pour nous la mort. Mais elle était plus rusée que moi ; car, pendant que je la blâmais pour ainsi dire en moi-même de ne pas me mener à lui, tout en paraissant hésiter à le voir, elle ouvrit tout d’un coup les deux battants de la porte qui donnait dans le salon voisin, et, la poussant toute grande :

« Voilà, je pense, dit-elle en l’introduisant, la personne que tu cherches. »

Au même instant, avec une aimable discrétion, elle se retira, et cela si vivement qu’elle nous donna à peine le temps de savoir par où elle était passée.

Je restai debout, l’esprit subitement troublé d’une question : Comment le recevrais-je ? Une résolution soudaine comme l’éclair vint y répondre, et je me dis : Ce sera froidement. Je pris donc sur-le-champ un air de raideur et de cérémonie, et je le gardai environ deux minutes, mais non sans grande difficulté.

Il se contint aussi, de son côté, vint vers moi gravement, et me salua dans les formes. Mais c’était, paraît-il, parce qu’il supposait que la Quakeresse était derrière lui, tandis que, comme je l’ai dit, comprenant parfaitement les choses, elle s’était retirée inaperçue, afin que nous eussions une plus complète liberté ; car, comme elle le dit ensuite, elle supposait que nous nous étions déjà vus, bien qu’il pût y avoir très longtemps de cela.

Quelque raideur que j’eusse mis dans mon abord, la sienne