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l’équipage, elle vanta l’avantage d’avoir tout très simple. Je dis comme elle, et m’en remis à sa direction. On envoya chercher un carrossier, et il me fournit un carrosse tout simple, sans dorures ni peintures, garni d’un drap gris clair. Mon cocher eut un habit du même drap et point de galon au chapeau.

Quand tout fut prêt, je mis le vêtement que je lui avais acheté, et lui dis :

« Allons, je veux être une Quakeresse aujourd’hui ; nous allons sortir toutes deux, vous et moi. »

Ainsi nous fîmes, et il n’y eut pas dans la ville de Quakeresse qui eût moins l’air d’une Quakeresse de contrebande que moi. Mais tout cela rentrait dans mon plan secret, pour être plus complètement cachée et pouvoir compter que je ne serais pas reconnue, sans avoir besoin pour cela d’être renfermée comme une prisonnière et d’avoir toujours peur. Tout le reste n’était que grimace.

Nous menions une vie très facile et pleine de calme ; mais je ne puis dire qu’il en fût de même de mon esprit. J’étais comme un poisson hors de l’eau. J’étais aussi dissipée, aussi jeune de caractère qu’à vingt-cinq ans ; et, comme j’avais été toujours courtisée, flattée, et habituée à aimer cela, je le trouvais de moins dans mes relations. Aussi faisais-je maint retours sur le passé.

Il y avait bien peu de moments dans ma vie qui, lorsque j’y réfléchissais, m’inspirassent autre chose que du regret ; mais de toutes les folles actions que j’avais à considérer dans mon existence passée, nulle ne paraissait si absurde, si semblable à de la démence, ni ne laissait à mon esprit tant de mélancolie, que ma séparation d’avec mon ami, le marchand de Paris, et mon refus de le prendre dans des conditions aussi honorables et aussi équitables que celles qu’il m’avait offertes ; et bien que, lorsqu’il avait avec justice — je dirais cruauté — décliné ma proposition de revenir à lui, j’eusse ressenti pour lui quelque haine, aujourd’hui mon esprit se reportait continuellement vers lui, et vers la ridicule conduite que j’avais tenue en le refusant, et rien ne pouvait me convaincre à son sujet. Je me flattais que si seulement je le voyais, je saurais encore le subjuguer, et