Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il se présenta cependant, dans le cas de la pauvre fille, une heureuse circonstance, qui amena une reconnaissance plus tôt qu’elle n’aurait eu lieu autrement, et voici comme. Elle et Amy étaient intimes depuis quelque temps et avaient échangé plusieurs visites, lorsque la fille, devenue maintenant une femme, parlant avec Amy des occasions de réjouissance qui survenaient souvent dans ma maison lorsqu’elle y était servante, s’exprima avec une sorte de regret de ce qu’elle ne pouvait jamais voir sa maîtresse, c’est-à-dire moi. À la fin elle ajouta :

« C’est bien étrange, madame ; mais, bien que j’aie demeuré près de deux ans dans la maison, je n’ai jamais vu ma maîtresse de ma vie, si ce n’est cette nuit de réception où elle dansa en beau costume turc ; et elle était si bien déguisée cette nuit-là que je ne l’ai jamais reconnue depuis. »

Amy fut bien aise d’entendre ces paroles ; mais comme elle était fine jusqu’au bout des ongles, il n’y avait crainte qu’elle se laissât prendre ; aussi n’y attacha-t-elle pas d’importance tout d’abord ; mais elle m’en rendit compte. Je dois avouer que je ressentis une joie secrète de penser que je n’étais pas connue de ma fille, et que, par l’effet de ce pur hasard, je pouvais, quand les circonstances m’en laisseraient libre, me découvrir à elle et lui faire savoir qu’elle avait une mère dans une situation qu’on pouvait avouer.

C’était pour moi auparavant une terrible contrainte ; et ceci m’inspira des réflexions fort tristes, et amena la grande question que j’ai indiquée plus haut. Mais plus il y avait d’amertume pour moi dans cette circonstance, plus il me fut agréable d’apprendre que la fille ne m’avait jamais vue, et que par conséquent, elle ne me reconnaîtrait pas si on lui disait qui j’étais.

Toutefois je voulais, la première fois qu’elle viendrait voir Amy, la soumettre à une épreuve : je serais entrée dans la chambre et me serais montrée à elle, pour voir par-là si elle me connaissait ou non. Mais Amy m’en dissuada, de peur que, comme il y avait assez lieu de le supposer, je ne fusse pas capable de me contenir ou de m’empêcher de me découvrir. Cela passa donc pour cette fois.

Mais toutes ces circonstances, — et c’est pourquoi je les men- -