Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/201

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en passant à l’amour, sujet si ridicule pour moi sans l’objet principal, je veux dire l’argent, que je n’eus pas la patience de l’entendre en faire un si long conte.

Je l’accueillis civilement et lui laissai voir que je pouvais endurer d’entendre une proposition déshonnête sans en être outragée, mais que pourtant on ne m’y amenait pas trop aisément. Il me fit des visites pendant longtemps, et, bref, me fit une cour aussi empressée et assidue que s’il m’avait recherchée en mariage. Il me fit plusieurs cadeaux de prix, que je me laissais persuader d’accepter, mais non sans de grandes difficultés.

Peu à peu je tolérai aussi ses autres sollicitations ; et quand il en arriva à me proposer d’établir, pour m’en faire le compliment, le taux d’une pension fixe, il déclara que, bien que je fusse riche, ce n’en était pas moins une chose due par lui que de reconnaître les faveurs qu’il recevait, et que, si je devais être sienne, je ne vivrais pas à mes dépens, quoi qu’il en coûtât. Je lui dis que j’étais loin d’être extravagante, mais que toutefois je ne vivais pas à moins de 500 livres sterling par an sortis de ma poche. Cependant je n’étais point envieuse d’une constitution de rente, car je regardais cela comme une sorte de chaîne dorée, quelque chose de semblable au mariage. Je savais, sans doute, être fidèle à un homme d’honneur comme je n’ignorais pas que sa seigneurie en était un ; cependant j’avais une espèce d’aversion pour tous les liens, car, bien que je ne fusse pas si riche que me faisait le monde dans l’exagération de ses bavardages, je n’étais pas non plus assez pauvre pour me lier à une vie d’oppression en échange d’une pension.

Il me dit qu’il espérait me rendre la vie parfaitement facile, et que telle était son intention. Il ne voyait pas la servitude qu’il pouvait y avoir dans un engagement particulier entre nous. Il savait que je serais liée par les liens de l’honneur et que je ne les considérerais pas comme un fardeau ; quant aux autres obligations, il dédaignait d’attendre de moi rien autre chose que ce qu’il savait qu’en tant que femme d’honneur je lui accorderais. Pour l’entretien, il me montrerait bientôt qu’il m’estimait infiniment plus de cinq cents livres par an. Et c’est sur ce pied que nous commençâmes.