Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/200

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ma beauté se fût conservée absolument intacte, si ce n’est que j’étais un peu plus grosse qu’auparavant et qu’il faut toujours tenir compte que j’avais quatre ans de plus.

Néanmoins, je conservais ma jeunesse de caractère ; j’étais toujours brillante, charmante en société, et aimable avec chacun, ou bien chacun me flattait. C’est dans cette condition que je me lançai dans le monde à nouveau. Quoique je ne fusse pas si répandue qu’auparavant, — et, en vérité, je ne cherchais pas à l’être, sachant que cela ne se pouvait pas, — j’étais loin d’être sans compagnie, et des gens de la plus grande qualité (parmi les sujets, j’entends) me faisaient de fréquentes visites, se réunissant quelquefois, pour prendre du plaisir et jouer dans mes appartements, où je ne me manquais pas de les divertir le plus agréablement possible.

Et personne d’entre eux ne pouvait me faire la moindre proposition, à cause de l’idée qu’ils avaient de mon extrême opulence, laquelle, pensaient-ils, me mettait au-dessus du vil calcul d’être entretenue, et ne laissait ainsi aucun côté par où m’aborder aisément.

Mais à la fin je fus attaquée d’une manière très flatteuse par un homme d’honneur et (ce qui me le recommandait particulièrement) de très grande fortune. Il prit comme introduction un long détour à propos de mes richesses. Ignorante créature ! me disais-je à part, en songeant que c’était un lord, y eut-il jamais femme du monde qui voulût s’abaisser jusqu’à être une catin et qui regardât comme au-dessous d’elle de tirer une récompense de son vice ! Non, non, soyez-en sûr, si Votre Seigneurie obtient rien de moi, il faudra que vous le payiez ; et l’idée que je suis si riche ne sert qu’à élever le prix que cela vous coûtera, car vous voyez bien que vous ne pouvez offrir une bagatelle à une femme de deux mille livres sterling de revenu.

Après qu’il eut discouru un bon moment m’assurant qu’il n’avait pas de dessein sur moi, qu’il ne venait pas pour m’enlever comme une prise, ni me soutirer mon argent, chose soit dit en passant, que je ne craignais pas beaucoup, car je veillais trop sur mon argent pour en laisser aller aucune portion de cette manière, — il termina son discours