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envoyé ici des sommes importantes, ou, autant que je m’en souviens, des valeurs considérables en eau-de-vie de France, papier et autres marchandises. Tout cela se vendit dans des conditions très avantageuses, et mon père se trouva fort à l’aise en arrivant, de sorte qu’il s’en fallait qu’il eût à s’adresser aux autres personnes de notre nation qui étaient ici, pour en obtenir protection ou secours. Au contraire, sa porte était continuellement assiégée d’une foule de pauvres misérables créatures mourant de faim, qui, en ce temps-là, s’étaient réfugiées ici, pour des raisons de conscience ou pour quelque autre cause.

J’ai même entendu mon père dire qu’il était harcelé par bien des gens qui, pour la religion qu’ils avaient, auraient aussi bien pu rester où ils étaient auparavant. Mais ils accouraient ici par troupeaux, pour y trouver ce qu’on appelle en anglais a livelihood, c’est-à-dire leur subsistance, ayant appris que les réfugiés étaient reçus à bras ouverts en Angleterre, qu’ils trouvaient promptement de l’ouvrage, car la charité du peuple de Londres leur facilitait les moyens de travailler dans les manufactures de Spitalfields, de Canterbury et autres lieux, — qu’ils avaient pour leur travail un salaire bien plus élevé qu’en France, et autres choses semblables.

Mon père, disais-je, m’a raconté qu’il était plus harcelé des cris de ces gens-là que de ceux qui étaient de vrais réfugiés, ayant fui dans la misère pour obéir à leur conscience.

J’avais à peu près dix ans lorsqu’on m’amena dans ce pays où, comme je l’ai dit, mon père vécut fort à l’aise, et où il mourut environ onze ans plus tard. Pendant ce temps, je m’étais formée pour la vie mondaine, et liée avec quelques-unes de nos voisines anglaises, comme c’est la coutume à Londres. Tout enfant, j’avais choisi trois ou quatre compagnes et camarades de jeux d’un âge assorti au mien, de sorte qu’en grandissant nous nous habituâmes à nous appeler amies et intimes ; et ceci contribua beaucoup à me perfectionner pour la conversation et pour le monde.

J’allais à des écoles anglaises, et, comme j’étais jeune, j’appris la langue parfaitement bien, ainsi que toutes les