Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/175

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rais bon, comme il était sûr que je le ferais, de jeter le reste aux mains de quelque homme aussi indigne que l’était mon sincère ami de Paris. Il concluait en m’engageant à réfléchir, avec le même regret qu’il le faisait lui-même, sur les folies que nous avions commises ensemble, me demandait pardon d’avoir été l’agresseur dans cette occasion, et me pardonnait tout excepté ma cruauté de le refuser, chose qu’il avouait ne pouvoir me pardonner d’aussi bon cœur qu’il le devrait, parce qu’il était convaincu que c’était un tort que je me causais, que ce serait un acheminement à ma ruine, et que je m’en repentirais sincèrement. Il prédisait de funestes choses où il était, disait-il, bien assuré que je tomberais, et, finalement, que je serais ruinée par un mauvais mari. Il me recommandait d’être d’autant plus prudente, afin de le rendre faux prophète, mais aussi de me souvenir, si jamais je venais à être dans le malheur, que j’avais à Paris un ami sûr qui ne me reprocherait pas les choses déplaisantes du passé, mais serait toujours prêt à me rendre le bien pour le mal.

Cette lettre me frappa de stupeur. Je ne pouvais croire qu’il fût possible à quelqu’un d’écrire une lettre semblable sans avoir trafiqué avec le diable ; car il y parlait de certaines choses particulières qui devaient plus tard m’atteindre, avec une telle assurance que j’en étais d’avance effrayée ; et lorsque ces choses vinrent à se produire, je fus persuadée qu’il avait des connaissances plus qu’humaines. En un mot, ses conseils de repentir étaient très affectueux, ses avertissements du mal à venir très tendres, et sa promesse de services, si j’en avais besoin, si généreuse, que j’en ai rarement vu de telle. Quoique je ne m’arrêtasse pas beaucoup là-dessus d’abord, parce que, en ce temps-là, je regardais ces choses comme pouvant très bien ne pas arriver et même comme improbables, néanmoins tout le reste de sa lettre était si touchant qu’elle me laissa fort mélancolique, et je pleurai vingt-quatre heures de suite presque sans cesser. Toutefois, même pendant tout ce temps, quoi que ce soit qui m’ensorcelât, je n’eus pas une seule fois le désir sérieux de l’avoir épousé. Je désirais du fond du cœur, il est vrai, avoir pu le garder près de moi ; mais j’avais une mortelle aversion pour me