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plus supporter l’idée de son départ. Quant à l’enfant, je n’en étais pas fort inquiète. Je dis au père que je lui promettais qu’il ne viendrait jamais lui reprocher son illégitimité ; que, si c’était un garçon, je l’élèverais comme le fils d’un gentleman et en aurais soin pour l’amour de lui. Après quelques autres paroles de ce genre, le voyant résolu à partir, je voulus me retirer, mais je ne pus l’empêcher de voir les larmes couler le long de mes joues. Il vint à moi et m’embrassa, me suppliant, me conjurant, par la bonté qu’il m’avait témoignée dans mon malheur, par la justice qu’il avait observée à mon égard en ce qui touchait mes lettres de change et mes affaires d’argent, par le respect qui lui avait fait refuser mille pistoles de moi pour ses dépenses avec ce traître de Juif, par ce gage de notre infortune, comme il l’appelait, que je portais dans mon sein, et par tout ce que l’affection la plus sincère pouvait suggérer, de ne pas le forcer à s’éloigner.

Mais cela n’eut pas d’effet ; j’étais stupide et insensible, sourde à toutes ses instances ; et je restai ainsi jusqu’au bout. Nous nous séparâmes donc ; il me demanda seulement de lui écrire un mot quand je serais délivrée, et de lui indiquer comment il pourrait me faire parvenir sa réponse ; je lui donnai ma parole que je le ferais. Il désira aussi être informé de ce que je comptais faire de ma personne. Je lui dis que j’avais décidé d’aller directement en Angleterre, à Londres, où je me proposais de faire mes couches ; mais puisqu’il était résolu à me quitter, ajoutai-je, je supposais que ce que je deviendrais ne lui importait pas.

Il coucha dans son appartement cette nuit-là ; mais il partit de bonne heure le lendemain matin, me laissant une lettre dans laquelle il répétait tout ce qu’il avait dit, recommandait de prendre soin de l’enfant, et me priait, comme il n’avait pas accepté l’offre des mille pistoles que je voulais lui donner en récompense de ses frais et ennuis avec le Juif et qu’il me les avait rendues, — il me priait, dis-je, de bien vouloir lui faire la grâce de m’engager à mettre à part ces mille pistoles avec leurs intérêts accumulés, pour l’enfant et pour son éducation ; il me pressait instamment d’assurer cette petite dot à l’orphelin abandonné, lorsque je juge-