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devait l’appeler père pût lui reprocher de l’avoir abandonné dans le monde pour être appelé bâtard. Il ajouta qu’il s’étonnait que je pusse prendre mon parti d’être si cruelle envers un innocent enfant encore à naître, déclarant qu’il ne saurait en supporter la pensée, bien moins encore en être le témoin, et espérant que je ne prendrais pas en mauvaise part qu’il ne restât pas pour assister à ma délivrance, justement pour cette raison.

Je vis qu’il était fort ému en parlant ainsi et que ce n’était pas sans difficulté qu’il contenait sa passion. Aussi refusai-je de prolonger la conversation sur ce sujet ; je me contentai de dire que j’espérais qu’il réfléchirait.

« Oh ! madame, répondit-il, ne me demandez pas de réfléchir. C’est à vous de réfléchir. »

Et il sortit de la chambre, étrangement troublé, comme il était facile de le voir sur sa physionomie.

Si je n’avais pas été une des plus folles en même temps qu’une des plus mauvaises créatures de la terre, je n’aurais jamais pu agir ainsi. J’avais sous la main un des hommes les plus honnêtes, les plus accomplis du monde. Il m’avait en un sens sauvé la vie, et il avait en tout cas sauvé cette vie de la ruine de la manière la plus éclatante. Il m’aimait jusqu’à la folie, et il était venu de Paris à Rotterdam exprès pour me chercher. Il m’avait offert le mariage, même lorsque j’étais déjà enceinte de lui ; il m’avait offert de renoncer à toute prétention sur mes biens et de les abandonner à ma propre administration, ayant une grande fortune lui-même. J’aurais pu m’établir ici hors de l’atteinte de tout malheur ; sa fortune et la mienne auraient dès l’abord rapporté plus de deux mille livres sterling par an, et j’aurais pu vivre comme une reine, et même beaucoup plus heureuse qu’une reine ; enfin, ce qui valait mieux que tout, j’avais en ce moment une occasion de quitter la vie de crime et de débauche à laquelle j’étais livrée depuis plusieurs années, de demeurer tranquille dans l’abondance et l’honneur, et de me consacrer à la grande œuvre dont j’ai si bien vu depuis la nécessité et la raison, je veux dire à l’œuvre du repentir.

Mais la mesure de ma perversité n’était pas comble encore. Je restai entêtée contre le mariage, et cependant je ne pouvais non