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ment, c’est bien la chose la plus absurde que femme ait jamais faite.

Il aurait voulu me prendre pour épouse, mais il ne voulait pas m’entretenir comme une catin. Jamais femme s’irrita-t-elle contre un homme à cause de cela ? Et jamais femme fut-elle assez stupide pour choisir d’être une catin là où elle aurait pu être une honnête épouse ? Mais être infatué d’une idée c’est presque être possédé du diable. Je restai inflexible et voulus argumenter au point de vue de la liberté, comme auparavant ; mais il m’arrêta court, et, avec plus de chaleur qu’il n’en avait encore montré avec moi, quoique avec le plus profond respect, il reprit :

« Chère madame, vous raisonnez en faveur de la liberté, en même temps que vous vous privez de cette liberté que Dieu et la nature vous instruisent à prendre ; et, pour remplir la lacune, vous vous proposez une liberté vicieuse, qui n’est ni suivant l’honneur, ni suivant la religion. Vous proposerez-vous la liberté aux dépens de la pudeur ? »

Je repartis qu’il me comprenait mal : je ne me proposais pas cela ; je disais seulement que celles qui ne sauraient se contenter sans mêler les sexes à la question, peuvent le faire, sans doute ; elles peuvent entretenir un homme comme les hommes entretiennent une maîtresse, si elles le jugent bon ; mais il ne m’avait point entendu dire que je voulusse le faire ; et bien que, d’après ce qui s’était passé, il eût sur cette matière le droit de me critiquer, il remarquerait, à l’avenir, que je le verrais librement sans aucun penchant de ce côté.

Il répondit qu’il ne pourrait en promettre autant pour lui, et qu’il pensait qu’il ne devait pas se risquer à affronter l’occasion ; car, ayant failli déjà, il ne se souciait pas de s’exposer à la tentation d’offenser de nouveau, et c’était là la vraie raison de sa résolution de retourner à Paris. Non pas qu’il lui fût possible de me quitter volontiers ; au contraire, et il s’en fallait bien qu’il eût besoin de mon invitation de rester ; mais s’il ne le pouvait dans des conditions qui lui convinssent, comme honnête homme et comme chrétien, qu’avait-il à faire ? Il espérait que je ne le blâmerais pas de ce qu’il lui répugnait qu’un être qui