Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/168

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sûr qu’il ne me le reprocherait jamais dans la suite, et il avait de moi une opinion assez bonne pour croire que je ne le suspectais pas. Mais, voyant que je m’entêtais à le refuser malgré ce qui s’était passé, il n’avait rien à faire qu’à me garantir de tout blâme en retournant à Paris, afin que, suivant sa propre manière de raisonner, le souvenir s’en éteignît et que je ne rencontrasse jamais, pour me nuire, ce fait sur mon chemin.

Ceci ne me plut pas du tout, car je n’avais nulle envie de le lâcher ; mais je n’avais aussi nulle envie de lui donner sur moi la prise qu’il aurait voulu avoir. J’étais ainsi en suspens, irrésolue, et incertaine du parti à prendre.

Je demeurais, je le répète, dans la même maison que lui, et je vis clairement qu’il se préparait à retourner à Paris. Je m’aperçus notamment qu’il faisait des remises d’argent sur Paris ; c’était, à ce que je compris plus tard, pour payer des vins qu’il avait donné l’ordre d’acheter pour lui à Troyes, en Champagne. Je ne savais quel parti prendre. Outre qu’il me répugnait beaucoup de me séparer de lui, il se trouvait que j’étais enceinte de ses œuvres, ce dont je ne lui avais pas encore parlé ; et quelquefois j’avais l’idée de ne pas lui en parler du tout. Mais j’étais dans un lieu étranger, sans connaissances ; et si je possédais une grande fortune, comme je n’avais aucun ami dans le pays ce n’en était que plus dangereux.

C’est ce qui m’obligea de le prendre à part un matin que je le vis, — je le crus, du moins, — un peu inquiet de son départ, et irrésolu.

« J’imagine, lui dis-je, que vous avez peine à trouver le cœur nécessaire pour me quitter maintenant.

» — Il est d’autant plus dur de votre part, répondit-il, cruellement dur, de refuser un homme qui ne sait comment se séparer de vous.

» — Je suis si loin d’être dure pour vous que j’irais avec vous par tout le monde, si vous le désiriez, excepté à Paris, où vous savez que je ne peux pas aller.

» — C’est une pitié, dit-il, que tant d’amour des deux côtés doive se séparer jamais.

» — Et alors, pourquoi vous éloignez-vous de moi ?