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Il parut contrarié de voir que je le menais de cette façon ; il m’assura que je me méprenais sur son compte ; qu’il avait trop de savoir-vivre en même temps que trop d’affection pour moi et trop de justice pour me reprocher une chose où il avait été l’agresseur et où il m’avait amenée par surprise. Ses paroles se rapportaient à ce que j’avais dit précédemment, que la femme, si elle le jugeait bon, pouvait entretenir un homme comme un homme entretient une maîtresse, en quoi je semblais citer cette manière de vivre comme justifiable, et la présenter comme une chose légitime, au lieu et place du mariage.

Nous débitâmes là-dessus quelques banalités qui ne valent pas la peine d’être répétées. J’ajoutai que je supposais bien que, lorsqu’il entra dans mon lit, il se croyait sûr de moi ; et, à la vérité, suivant le cours ordinaire des choses, après avoir couché avec moi, il devait bien le croire ; mais, en vertu du même raisonnement que je lui avais tenu dans notre conversation, c’était justement le contraire. Lorsqu’une femme a été assez faible pour céder jusqu’au dernier article avant le mariage, ce serait ajouter une faiblesse à une autre que d’épouser l’homme ensuite pour attacher sur soi la honte de l’action tous les jours de sa vie, et s’obliger à vivre toujours avec le seul homme qui puisse la lui reprocher. Pour céder d’abord, il faut qu’elle soit folle ; mais épouser l’homme, c’est être sûre d’être appelée folle ; tandis que refuser l’homme c’est agir avec courage et vigueur, et repousser le blâme, qui, dans le cours des événements, finit par s’ignorer et s’éteindre. L’homme s’en va d’un côté et la femme d’un autre, suivant que la destinée et les circonstances de la vie le veulent ; et s’ils se gardent le secret l’un à l’autre, c’est une folie dont on n’entend plus parler.

« Mais épouser l’homme, poursuivis-je, c’est la chose la plus absurde de la nature ; c’est (sauf votre respect) se salir de sa propre ordure et vivre dans l’odeur. Non, non ; après qu’un homme a couché avec moi comme maîtresse il ne couchera jamais avec moi comme épouse. C’est non seulement conserver la mémoire du crime, mais c’est l’inscrire dans les annales de la famille. Si la femme épouse l’homme ensuite, elle en porte le blâme jusqu’à la dernière heure. Si son mari n’est pas riche à