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» — Non, dit-il en riant de ma comparaison. Vous serez le pilote alors ; vous dirigerez la marche du navire.

» — Oui bien, tant que cela vous plaira ; mais vous pourriez m’arracher le gouvernail des mains quand il vous ferait plaisir, et m’envoyer à ma quenouille. Ce n’est pas vous que je suspecte, ajoutai-je ; ce sont les lois du mariage, qui mettent le pouvoir dans vos mains, vous demandent d’en user, vous commandent de commander, et, ma foi ! m’obligent à obéir. Vous, qui êtes maintenant sur un pied d’égalité avec moi comme je le suis avec vous, vous allez être l’heure d’après élevé sur un trône, et votre humble femme aura sa place au dessous du tabouret de vos pieds. Tout le reste, tout ce que vous appelez unité d’intérêt, affections mutuelles, etc., n’est donc que de la courtoisie et de la bienveillance ; une femme est, sans doute, infiniment obligée quand elle rencontre, mais où cela manque, elle ne peut l’empêcher. »

Eh bien ! il ne se tint pas encore pour battu ; il entama des considérations plus graves, et là crut qu’il aurait raison de moi. Il fit d’abord entendre que le mariage est décrété par le ciel, que c’est l’état de vie régulier déterminé par Dieu pour la félicité de l’homme et pour l’établissement d’une postérité légitime ; qu’il ne peut y avoir de prétentions légales à une fortune par voie d’héritage, si ce n’est de la part d’enfants nés dans le mariage ; que tout le reste disparaît dans le scandale et l’illégitimité. Et vraiment c’est un sujet sur lequel il parla fort bien.

Mais cela ne suffisait pas. Je l’arrêtai court.

« Écoutez, monsieur, lui dis-je, à la vérité vous avez ici l’avantage sur moi, dans mon cas particulier ; mais il ne serait pas généreux d’en user. J’accorde facilement qu’il eût mieux valu pour moi vous épouser, que de vous admettre à la liberté que je vous ai donnée ; mais comme je ne pouvais prendre mon parti du mariage pour les raisons déjà dites, que j’avais assez d’affection pour vous, et que l’obligation que je vous avais était trop grande pour vous résister, j’ai souffert votre brutalité et sacrifié ma vertu. Mais j’ai devant moi, pour guérir cette plaie faite à mon honneur, deux choses, sans cette ressource désespérée du mariage : c’est le repentir de ce qui est passé, et la volonté d’y mettre fin pour l’avenir. »