Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/163

Cette page a été validée par deux contributeurs.

et si elle a envie de se passer ses fantaisies en ce qui est des sexes, elle peut entretenir un homme tout comme un homme entretient une maîtresse. Tant qu’elle est ainsi seule, elle s’appartient à elle-même, et si elle abandonne ce pouvoir, elle mérite d’être aussi misérable qu’une créature peut l’être.

Tout ce qu’il put dire ne répondait pas à la force de mes paroles en tant qu’argumentation. Il faisait observer seulement que la méthode ordinaire, suivant laquelle se guide le monde, est dans l’autre direction ; qu’il avait lieu d’espérer que je me contenterais de ce qui contente le monde ; qu’il était d’avis qu’une affection sincère entre un homme et sa femme répond à toutes les objections que j’avais faites à propos de la condition d’esclave, de servante, et autres choses semblables ; que là où il y a mutuel amour il ne saurait y avoir de servitude, puisqu’il n’y a qu’un seul intérêt, un seul but, un seul dessein et que tout conspire à rendre l’un et l’autre très heureux.

« Eh ! oui, répliquai-je ; c’est justement ce dont je me plains. Le prétexte de l’affection enlève à une femme tout ce qui peut s’appeler elle-même. Elle ne doit avoir ni intérêt, ni but, ni manière de voir ; mais tout est l’intérêt, le but, la manière de voir du mari. Elle doit être la créature passive dont vous parliez. Elle a à mener une vie d’indolence parfaite ; et, n’existant que par sa foi — non en Dieu, mais en son mari, — elle sombre ou vogue, suivant que celui-ci est fou ou sage, malheureux ou prospère. Au milieu de ce qu’elle croit être le bonheur et la prospérité, elle se trouve engloutie dans la misère et le dénuement sans en avoir le moindre avis, la moindre connaissance, le moindre soupçon. Que de fois j’ai vu une femme vivre dans tout l’éclat qu’une abondante fortune pouvait lui permettre, avec ses voitures et ses équipages, sa famille, son riche mobilier, ses serviteurs et ses amis, son entourage de visiteurs et de bonne société, tout enfin aujourd’hui, et, demain, surprise par une catastrophe, chassée loin de tout par un syndicat de faillite, dépouillée même des vêtements qu’elle avait sur le dos ; son douaire, en supposant qu’elle en eût un, sacrifié aux créanciers aussi longtemps que son mari vivrait, et elle, jetée dans la rue, et laissée à la charité de ses amis, si elle en avait, ou suivant