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ment son discours entre les réflexions sérieuses et les compliments. Mais je me sentais trop coupable pour goûter tout cela du même esprit qu’il me le donnait ; aussi je détournai la conversation et je lui parlai de la nécessité où je m’étais trouvée de venir en Hollande, et de mon désir de me revoir heureusement sur le rivage de l’Angleterre.

Il me dit qu’il était bien aise néanmoins, de l’obligation qui m’avait fait venir en Hollande, et me donna à entendre qu’il s’intéressait tellement à mon bonheur que, s’il ne m’avait pas heureusement trouvée en Hollande, il était résolu à aller en Angleterre pour me voir, et que c’était là une des principales raisons pour lesquelles il avait quitté Paris.

Je lui étais extrêmement obligée, lui répondis-je, de s’intéresser jusqu’à ce point à mes affaires ; mais j’étais tellement sa débitrice d’avance que je ne savais pas si quelque chose au monde pouvait accroître ma dette ; en effet, je lui devais déjà la vie, et je ne pouvais contracter de dette pour rien de plus précieux. Il repartit de la façon la plus obligeante qu’il me mettrait à même de payer cette dette et, en même temps, toutes les autres obligations qu’il avait jamais pu, ou qu’il pourrait, me faire contracter envers lui.

Je commençai alors à le comprendre, et à voir clairement qu’il était déterminé à me faire la cour ; mais je ne voulus point du tout entendre ses insinuations, d’autant que je savais qu’il avait une femme à Paris ; d’ailleurs je n’avais, pour le moment, du moins, aucun goût à de nouvelles intrigues. Cependant je fus prise à l’improviste, un petit moment après, par une allusion qu’il fit dans sa conversation à quelque chose qu’il faisait du temps de sa femme. J’eus un soubresaut.

« Que voulez-vous dire, monsieur ? m’écriai-je. N’avez-vous pas votre femme à Paris ?

» — Non vraiment, madame. Ma femme est morte au commencement de septembre dernier. »

C’était apparemment peu après mon départ.

Nous demeurions toujours dans la même maison et, comme nous ne logions pas loin l’un de l’autre, les occasions ne manquaient pas de lier connaissance aussi étroitement que nous