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voiture ; maigre, et ayant presque l’air d’une morte de faim, moi qui étais auparavant grasse et de belle mine. La maison, autrefois garnie d’un beau mobilier, de tableaux, d’ornements, de buffets, de trumeaux et de tout ce qu’il fallait, était maintenant dépouillée et nue, presque tout ayant été saisi par le propriétaire pour le loyer ou vendu pour acheter le nécessaire. En un mot, tout était misère et dénuement ; partout on voyait l’image de la ruine. Nous avions à peu près tout mangé, et il ne restait plus guère rien, à moins que, semblable à l’une des pitoyables femmes de Jérusalem, je ne mangeasse jusqu’à mes propres enfants.

Ces deux bonnes créatures étaient, comme je l’ai dit, assises en silence depuis quelque temps, et elles avaient bien tout regardé autour d’elles, lorsque ma servante, Amy, rentra. Elle rapportait une petite poitrine de mouton et deux gros paquets de navets, dont elle voulait faire un ragoût pour notre dîner. Pour moi, mon cœur était si accablé de voir ces deux amies, — car c’étaient des amies, quoique pauvres — et d’être vue par elles en un tel état, que je tombai dans une autre violente crise de larmes, si bien que je ne pus leur parler encore de longtemps.

Pendant que j’étais dans ce désespoir, elles prirent à part ma servante Amy dans un coin de la chambre et causèrent avec elle. Amy leur donna tous les détails de ma situation et les exprima en termes si touchants et si naturels que je n’aurais pu, dans aucune circonstance, en faire autant moi-même ; bref, elle les émut si bien l’une et l’autre que la vieille tante vint à moi, et que, malgré les larmes qui la rendaient presque incapable de parler, elle me dit rapidement :

« Voyez-vous, cousine ; ça ne peut pas rester comme ça ; il faut prendre un parti, et immédiatement. Où sont nés ces enfants, je vous prie ? »

Je lui dis la paroisse où nous demeurions auparavant, que quatre d’entre eux y étaient nés, et que l’autre était né dans la maison où j’étais et dont le propriétaire, après avoir, avant de connaître ma situation, saisi mes meubles pour le loyer arriéré, m’avait ensuite autorisée à demeurer toute une année sans rien payer ; et cette année, ajoutai-je, était presque expirée maintenant.