Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.

a ce que l’homme possède, et que ce qu’elle possède personne autre qu’elle ne l’a ; la femme supporte mille outrages et est forcée de rester tranquille et de les supporter, ou de partir et de se perdre ; une maîtresse insultée se défend elle-même aussitôt et prend un autre amant.

C’étaient là les coupables raisons que je me donnais pour faire la catin, car je n’établissais jamais le parallèle dans un autre sens, je puis dire dans aucun des autres sens ; jamais je ne me disais qu’une femme mariée se montre hardiment et honorablement avec son mari, demeure chez elle, a sa maison, ses domestiques, ses équipages, est en possession d’un droit sur tout cela et peut l’appeler sien ; qu’elle reçoit ses amis, aime ses enfants, a d’eux un retour d’affection et de respect, car ici ils sont proprement à elles, et qu’elle a, par la coutume d’Angleterre, des droits sur les biens de son mari s’il meurt et la laisse veuve.

La catin se cache dans des garnis ; on va la voir dans les ténèbres ; en toute occasion, on la désavoue devant Dieu et devant les hommes ; elle est, il est vrai, entretenue pendant un temps, mais elle est sûrement condamnée à être abandonnée à la fin et laissée aux misères du sort et d’un désastre mérité. Si elle a des enfants, son effort est de s’en débarrasser, et non de les élever ; si elle vit, elle est sûre de les voir la haïr et rougir d’elle ; tant que le vice fait rage et que l’homme est dans la main du diable, elle le tient, et tant qu’elle le tient, elle en fait sa proie ; mais s’il arrive qu’il tombe malade, si quelque catastrophe le frappe, la responsabilité de tout pèse sur elle. Il ne manque pas de rapporter à elle l’origine de tous ses malheurs ; s’il vient une fois à se repentir, ou s’il fait un seul pas vers une réforme, c’est par elle qu’il commence : il la laisse, la traite comme elle le mérite, la hait, l’abhorre, et ne la voit plus ; et cela, avec ce surcroît qui ne manque jamais, que, plus sa repentance est sincère et sans feinte, plus il lève les yeux au ciel avec ardeur et plus il regarde efficacement en lui-même, plus son aversion pour elle s’accroît ; il la maudit du fond de son âme ; que dis-je ? ce n’est que par une sorte d’excès de charité qu’il souhaite seulement que Dieu lui pardonne.