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je la soulevai un peu, et l’établis sur le pont, le dos appuyé aux planches de la cloison ; puis je tirai une petite bouteille de ma poche et la tins sous son nez ; je lui frottai les tempes, et fis tout ce que je pouvais faire. Mais Amy continuait à ne donner aucun signe de vie ; je lui tâtai le pouls, et pus à peine discerner qu’elle vivait. Cependant, après une longue attente, elle commença à se ranimer, et, au bout d’une demi-heure, elle était revenue à elle ; mais tout d’abord et durant un bon moment ensuite, elle ne se rappela rien de ce qui lui était arrivé.

Lorsqu’elle eut plus pleinement recouvré ses sens, elle me demanda où elle était. Je lui dis qu’elle était toujours dans le navire, mais que Dieu savait combien de temps elle y serait encore.

« Eh quoi ! madame, dit-elle ; la tempête n’est-elle pas passée !

» — Non, non, Amy, lui répondis-je.

» — Ah ! madame, il faisait calme tout à l’heure. (Elle parlait du temps qu’elle était dans l’évanouissement causé par sa chute.)

» — Calme, Amy ! Il s’en faut qu’il fasse calme. Il fera peut-être calme tout à l’heure, quand nous serons tous noyés et montés au ciel.

» — Le ciel, madame ! s’écria-t-elle. Qui vous fait parler ainsi ? Le ciel ! Moi, aller au ciel ! Non, non, si je me noie, je suis damnée ! Ne savez-vous pas quelle mauvaise créature j’ai été ? J’ai fait la catin avec deux hommes, et j’ai vécu une misérable et abominable vie de vice et de méchanceté pendant quatorze ans. Ô madame, vous le savez, et Dieu le sait ; et maintenant, il faut que je meure, que je sois noyée ! Oh ! que vais-je devenir ? C’en est fait de moi pour toujours ! oui, madame, pour toujours ! pour toute l’éternité ! Oh ! je suis perdue ! je suis perdue ! S’il faut que je sois noyée, je suis perdue pour toujours ! »

Toutes ces paroles, vous l’imaginerez aisément, devaient être autant de coups de poignards au fond de l’âme d’une personne dans ma situation. Il se présenta immédiatement à moi cette pensée : Pauvre Amy ! qu’es-tu que je ne sois pas ? Qu’as-tu été