Page:Defoe - Lady Roxana.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lorsque je passai, sur le navire, entre Douvres et Calais et que je vis une fois encore l’Angleterre devant mes yeux, l’Angleterre que je regardais comme ma patrie, car, bien que je n’y fusse pas née, c’était le lieu où j’avais été élevée, une sorte de joie étrange s’empara de mon esprit, et je ressentis un tel désir d’y être que j’aurais donné au patron du bâtiment vingt pistoles pour s’arrêter et me mettre à terre dans les dunes. Lorsqu’il m’eut dit qu’il ne le pouvait pas, c’est-à-dire qu’il ne l’oserait pas quand je lui donnerais cent pistoles, je souhaitai secrètement qu’il s’élevât un orage qui chasserait le navire sur la côte d’Angleterre, en dépit de l’équipage de façon à pouvoir être mise à terre sur le sol anglais.

Il y avait à peine deux ou trois heures que cette mauvaise pensée avait quitté mon esprit, et le patron gouvernait au nord comme c’était sa route de le faire, lorsque nous perdîmes la terre de vue de ce côté, et nous n’eûmes plus de visible que le rivage flamand sur notre main droite, ou comme disent les marins, à tribord. Alors, en perdant de vue l’Angleterre, mon désir d’y aborder s’apaisa, et je considérai combien il était fou de souhaiter de m’écarter de mes affaires : si j’avais été mise à terre en Angleterre, j’aurais dû revenir en Hollande à cause de mes lettres de change qui montaient à une somme si considérable ; car, n’ayant pas de correspondant là-bas, je n’aurais pas su régler mes intérêts sans y aller moi-même. Mais nous n’avions pas perdu de vue l’Angleterre depuis longtemps, que le temps commença à changer : les vents sifflaient bruyamment, et les matelots se disaient les uns aux autres qu’il soufflerait dur à la nuit. C’était environ deux heures avant le coucher du soleil ; nous avions dépassé Dunkerque, et je crois qu’on disait que nous étions en vue d’Ostende. C’est alors que le vent s’éleva, que la mer s’enfla et que toutes les choses prirent un aspect terrible, surtout pour nous qui ne comprenions rien que ce que nous voyions devant nous. Bref, la nuit arriva, nuit très noire ; le vent fraîchit, devint de plus en plus dur, et au bout de deux heures à peu près, souffla terriblement en tempête.

Je n’étais pas tout à fait étrangère à la mer, étant venue de La Rochelle en Angleterre quand j’étais enfant, et, plus tard, étant