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son cours, aurait pu me ruiner et me renvoyer en Angleterre aussi nue que j’étais quelque temps avant d’en partir.

Nous avions maintenant, Amy et moi, le loisir de considérer les malheurs auxquels nous avions échappé. Si j’avais eu aucune religion, aucun sentiment d’un Pouvoir Suprême conduisant, dirigeant et gouvernant à la fois les causes et les événements en ce monde, un cas comme celui-ci aurait donné lieu à tout le monde d’être reconnaissant envers ce Pouvoir qui non seulement avait mis en mes mains un tel trésor, mais m’avait donné le moyen d’échapper à la ruine qui me menaçait. Mais je n’avais en moi rien de tout cela ; il est vrai, cependant, que je nourrissais un sentiment de reconnaissance pour la généreuse amitié de mon libérateur, le marchand hollandais, qui m’avait si fidèlement servie et, autant du moins qu’il appartient aux causes secondes, préservée de la destruction.

Je nourrissais, dis-je, un sentiment de reconnaissance pour sa bonté et sa loyauté envers moi, et je résolus de lui en donner quelque témoignage dès que je serais arrivée à la fin de mes pérégrinations ; car j’étais encore en plein état d’incertitude, et cela ne laissait pas que de me rendre un peu inquiète parfois. J’avais, il est vrai, du papier pour mon argent, et il s’était montré très bon pour moi en me faisant passer à l’étranger, comme je l’ai dit. Mais je n’avais pas encore vu la fin de mes embarras ; car, tant que les lettres de change ne seraient pas payées, je pouvais toujours subir de grandes pertes par le fait de mon Hollandais ; il se pouvait qu’il eût imaginé toute cette histoire du Juif pour m’effrayer et me faire prendre la fuite, et cela comme si c’eût été pour me sauver la vie, de sorte que, si les lettres étaient refusées, je me trouverais abominablement dupée, — et le reste. Mais ce n’étaient là que des hypothèses ; et elles étaient vraiment tout à fait sans motifs, car l’honnête homme avait agi comme agissent toujours les honnêtes gens, par un principe de droiture et de désintéressement et avec une sincérité qui ne se trouve pas souvent dans le monde. Le gain qu’il avait fait sur le change était juste ; ce n’était que ce qui lui était dû, et cela rentrait dans son commerce ordinaire ; mais autrement il ne fit aucun bénéfice sur moi.