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Vous et lui, vous serez l’un et l’autre plus à l’aise de ce côté, quand je vous aurai appris que je suis la veuve infortunée de ce M. ***, qui fut si cruellement assassiné en allant à Versailles, et qu’on ne lui déroba pas ces joyaux-ci, mais d’autres, M. *** ayant laissé ceux-ci à ma garde de peur d’être volé. Si j’en avais obtenu la possession autrement, monsieur, je n’aurais pas été assez courte d’esprit pour les mettre en vente ici, où la chose s’est passée ; je les aurais portés plus loin. »

Ce fut une surprise agréable pour le marchand hollandais, qui, étant lui-même un honnête homme, crut tout ce que je disais ; et comme c’était, d’ailleurs, réellement et littéralement vrai de tout point, à l’exception de mon mariage, je parlais avec une aisance si détachée qu’il était facile de voir que je n’avais point de crime sur la conscience, comme le Juif le suggérait.

Le Juif fut confondu lorsqu’il apprit que j’étais la femme du joaillier ; mais comme j’avais soulevé sa rage en disant qu’il me regardai avec une figure de diable, il médita aussitôt quelque machination, et répondit que cela ne servirait pas mes plans. Il tira de nouveau le Hollandais à part, et lui dit qu’il était résolu à poursuivre la chose plus avant.

Il y eut dans cette affaire une chance heureuse, qui fut vraiment mon salut ; ce fut que ce fou ne put contenir sa rage, mais la laissa éclater devant le marchand hollandais, auquel, lorsqu’ils se retirèrent pour la seconde fois, il déclara qu’il voulait m’intenter un procès pour meurtre et qu’il m’en coûterait cher de l’avoir traité de cette façon. Il s’en alla alors, priant le marchand de lui dire quand je reviendrais. S’il avait soupçonné que le Hollandais m’aurait fait part de ces détails, il n’aurait jamais été assez sot pour les lui communiquer.

Quoi qu’il en soit, la malice de ses pensées l’emporta, et le marchand hollandais fut assez bon pour me rendre compte de son dessein, dont la nature était véritablement assez noire ; mais il eût été encore plus pernicieux pour moi que pour un autre, car, dans une instruction judiciaire, je n’aurais pas pu prouver que j’étais la femme du joaillier, de sorte que le soupçon en aurait acquis plus de poids ; de plus, je me serais mis à dos tous les parents de celui-ci en Angleterre, lesquels, voyant par