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et à ce que se refroidît la chaleur avec laquelle j’étais maintenant si caressée ; à la longue, comme les autres maîtresses des grands personnages, il se pouvait qu’on me laissât retomber, et c’était mon affaire, par conséquent, de prendre garde que la chute fût aussi douce que possible.

Je n’oubliais donc pas, dis-je, de faire aussi ample provision en vue de l’avenir que si je n’avais rien eu pour subsister que ce que je gagnais alors ; et cependant je ne possédais pas moins de dix mille livres sterling, comme je l’ai dit plus haut, que j’avais recueillies, ou plutôt dont je m’étais assurée, dans les débris de mon fidèle ami le joaillier, et que lui-même, ne pensant guère à ce qui était si proche lorsqu’il sortit, m’avait dit, tout en ne croyant que plaisanter, m’appartenir entièrement si on lui cassait la tête ; en raison de quoi j’avais pris soin de les garder.

Mon plus grand embarras était alors de savoir comment je mettrais ma fortune en sûreté, et comment je conserverais ce que j’avais acquis ; car j’avais beaucoup ajouté à cette fortune grâce à la noble libéralité du prince ***, aidée par mon genre de vie retirée et solitaire qu’il désirait plutôt pour le secret que par esprit de parcimonie, car il me fournissait de quoi vivre plus magnifiquement que je ne l’eusse souhaité si les convenances l’avaient permis.

J’abrègerai l’histoire de cette prospérité dans le vice en vous disant que je lui donnai un troisième fils un peu plus de onze mois après notre retour d’Italie ; que maintenant je vivais un peu plus à découvert et portais un certain nom qu’il m’avait donné à l’étranger, mais que je ne dois pas rapporter ici, celui de comtesse de ***. J’avais des carrosses et des domestiques en rapport avec le rang dont il me donnait les apparences. Comme il arrive plus qu’ordinairement dans des cas pareils, cela tint huit années de suite, pendant lesquelles, si je lui restai très fidèle, je dois dire, comme je l’ai fait déjà, que je crois qu’il fut si exclusivement attaché à moi que, tandis qu’il avait d’ordinaire deux ou trois femmes secrètement entretenues, il n’eut, de tout ce temps, nul rapport avec aucune d’elles, mais que je l’avais si parfaitement accaparé qu’il les lâcha toutes ; non pas, peut-être,