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Après ces diverses perambulations, monseigneur me dit que ses affaires touchaient à leur fin, et que nous allions songer à retourner en France. J’en fus très aise, surtout à cause de mon trésor que j’avais là-bas et qui, comme vous le savez, était fort considérable. Il est vrai que je recevais très fréquemment des lettres de ma servante Amy, rapportant que tout était bien en sûreté, et cela me causait une grande satisfaction. Toutefois, puisque les négociations du prince étaient terminées et qu’il était obligé de s’en retourner, j’étais très contente de partir. Nous revînmes donc de Venise à Turin, et, dans le trajet, je vis la fameuse ville de Milan. De Turin, nous franchîmes de nouveau les montagnes, comme la première fois ; nos carrosses vinrent au-devant de nous à Pont-à-Voisin, entre Chambéry et Lyon, et ainsi, à petites journées, nous arrivâmes heureusement à Paris, après une absence de deux ans moins onze jours, comme je l’ai dit.

Je trouvai la petite famille que nous avions laissée juste comme nous l’avions laissée. Amy pleura de joie quand elle me vit, et j’en fis presque autant.

Le prince avait pris congé de moi la nuit précédente, parce que, me dit-il, il savait qu’il serait rencontré sur la route par plusieurs personnes de qualité et peut-être par la princesse elle-même. Aussi nous couchâmes chacun dans une auberge différente cette nuit-là, de peur que quelqu’un ne vînt jusqu’à cet endroit, ce qui eut lieu, en effet.

Ensuite je ne le revis pas pendant plus de vingt jours, absorbé qu’il était par sa famille et aussi par ses affaires ; mais il m’envoya son gentilhomme m’en dire la raison, et me prier de ne pas être inquiète, ce qui me rassura tout à fait.

Au milieu de cette affluence de bonne fortune, je n’oubliais pas que j’avais été déjà une fois riche et pauvre alternativement, et que je devais savoir qu’il ne fallait pas compter que les circonstances dans lesquelles j’étais maintenant dureraient toujours. J’avais un enfant et j’en attendais un autre : si j’étais souvent mère, cela me ferait du tort dans la grande chose qui soutenait mes intérêts, je veux dire ce qu’il appelait ma beauté ; à mesure que cela déclinerait, je devais m’attendre à ce que le feu s’abattît