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parler au prince, de peur qu’il ne vît que j’étais plus riche qu’il ne le croyait.

Mais le prince m’aplanit tout. En nous concertant sur les mesures à prendre pour le voyage, il souleva lui-même la question, et, un soir, il me demanda gaiement à qui je confierais toute ma fortune pendant mon absence.

« Ma fortune, monseigneur, en dehors de ce que je dois à vos bontés, n’est que peu de chose, lui dis-je ; mais encore ce peu que j’ai me cause, je le confesse, quelque sollicitude, parce que je n’ai pas une connaissance à Paris à qui j’ose le confier, ni personne que ma femme de chambre à laisser dans la maison ; et je ne sais pas trop comment faire en voyage sans elle.

» — Pour le voyage, ne vous inquiétez pas, dit le prince ; je vous fournirai des servantes à votre goût ; et quant à votre femme de chambre, si vous pouvez avoir confiance en elle, laissez-la ici ; je vous indiquerai le moyen de tenir vos affaires en sûreté aussi bien que si vous étiez chez vous. »

Je m’inclinai, lui disant que je ne saurais être remise dans de meilleures mains que dans les siennes et qu’en conséquence je règlerais toutes mes démarches sur ses instructions. Nous ne causâmes pas davantage sur ce sujet cette nuit-là.

Le lendemain, il m’envoya un grand coffre de fer, si vaste que six vigoureux gaillards pouvaient à peine le monter dans l’escalier de la maison. Ce fut là que je mis toute ma fortune ; et, pour ma sécurité, il donna l’ordre à un honnête bonhomme et à sa femme de rester dans la maison avec Amy pour lui tenir compagnie, ainsi qu’une servante et un jeune garçon ; de sorte que cela faisait toute une famille, et qu’Amy était la dame, la maîtresse de la maison.

Les choses ainsi arrangées, nous partîmes incognito, comme il disait ; mais nous avions deux carrosses et six chevaux, deux chaises et sept ou huit domestiques à cheval, tous très bien armés.

Jamais femme au monde, voyageant en la même qualité que moi, ne fut mieux traitée. J’avais trois servantes à mes ordres, dont l’une était une vieille Mme ***, qui entendait parfaitement son affaire et réglait tout comme un majordome ; aussi n’avais-je