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quelle condition l’on m’abandonnait, avec cinq enfants, et sans un liard pour subvenir à leurs besoins, en dehors de soixante-dix livres d’argent comptant environ, et des quelques objets précieux que j’avais sur moi, mais qui, quelle que fût leur valeur, n’étaient rien pour entretenir une famille, surtout pendant longtemps.

Que faire, je ne le savais ; ni à qui avoir recours. Demeurer dans la maison où j’étais, je ne le pouvais pas : le loyer était trop élevé. La quitter sans les ordres de mon mari, au cas où il reviendrait, je ne pouvais non plus y songer. De sorte que je restai extrêmement perplexe, triste et découragée au plus haut point.

Cet état d’abattement dura près d’un an. Mon mari avait deux sœurs, mariées, et très à leur aise, ainsi que quelques autres proches parents que je connaissais, et qui, je l’espérais, feraient quelque chose pour moi. J’envoyais souvent auprès d’eux demander s’ils pouvaient me donner quelque renseignement sur mon vagabond ; mais ils répondaient tous qu’ils ne savaient rien à son sujet ; et, après de nombreuses commissions de ce genre, ils finirent par me trouver importune, et par me faire savoir qu’ils le trouvaient en donnant aux demandes de ma bonne des réponses dédaigneuses et peu polies.

Cela me blessa fort et ajouta à mon chagrin ; mais je n’avais d’autre recours que les larmes, car il ne me restait plus un ami au monde. J’aurais dû faire remarquer que ce fut six mois environ avant cette disparition de mon mari que le désastre dont j’ai parlé frappa mon frère ; il fit faillite, et, dans ces tristes circonstances, j’eus la mortification d’apprendre, non seulement qu’il était en prison, mais qu’il n’y aurait que peu ou rien à retirer par voie d’arrangement.

Les malheurs arrivent rarement seuls ; celui-ci fut l’avant-coureur de la fuite de mon mari. Ainsi, mes espérances détruites de ce côté, mon mari parti, mes enfants sur les bras et rien pour leur entretien, j’étais dans la condition la plus déplorable que puisse exprimer la parole humaine.

J’avais quelque argenterie et quelques bijoux, comme on peut le supposer d’après ma fortune et mon premier état ; et mon mari, qui ne s’était jamais arrêté à l’idée de ses embarras, ne