Page:Debussy - Monsieur Croche, 1921.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.

destinée mystérieuse et tyrannique qui explique l’inlassable curiosité de M. Massenet à chercher dans la musique des documents pour servir à l’histoire de l’âme féminine ? — Elles sont là, presque toutes, ces figures de femmes qui servirent déjà tant de rêves ! Le sourire de la Manon en robes à panier renaît sur la bouche de la moderne Sapho pour faire pareillement pleurer les hommes ! Le couteau de la Navarraise y rejoint le pistolet de l’inconsciente Charlotte. (Cf. Werther.)

D’autre part, on sait combien cette musique est secouée de frissons, d’élans, d’étreintes qui voudraient s’éterniser. Les harmonies y ressemblent à des bras, les mélodies à des nuques ; on s’y penche sur le front des femmes pour savoir à tout prix ce qui se passe derrière… — Les philosophes et les gens bien portants affirment qu’ils ne s’y passe rien, mais cela ne supprime pas absolument l’opinion contraire, l’exemple de M. Massenet le prouve (au moins mélodiquement) ; à cette préoccupation il devra, au surplus, d’occuper dans l’art contemporain une place qu’on lui envie sourdement, ce qui peut faire croire qu’elle n’est pas à dédaigner.

La fortune, qui est femme, se devait de bien traiter M. Massenet et même de lui être quelquefois infidèle ; elle n’y a point manqué. Tant de succès fit qu’à une époque il fut de bon ton de copier les manies mélodiques de M. Massenet, puis,