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qui souffrira le plus. Des personnes graves et informées déclareront que tel ou tel chef d’orchestre possède le vrai mouvement, c’est d’ailleurs un excellent sujet de conversation. Où ces personnes prirent-elles tant d’assurance ? reçurent-elles des communications de l’Au-delà ? Voilà des gentillesses d’outre-tombe qui m’étonneraient beaucoup de la part de Beethoven. Et si sa pauvre âme erre parfois dans une salle de concert, elle doit vite remonter vers ce monde où ne s’entend plus que la musique des sphères ! Et le grand aïeul J.-S. Bach doit lui dire un peu sévèrement : « Mon petit Ludwig, je vois à votre âme un peu crispée que vous êtes encore allé dans de mauvais lieux. » — Au surplus, peut-être ne se parlèrent-ils jamais…

L’attrait qu’exerce le virtuose sur le public paraît assez semblable à celui qui attire les foules vers les jeux du cirque. On espère toujours qu’il va se passer quelque chose de dangereux : M. X va jouer du violon en prenant M. Y sur ses épaules, ou bien M. Z terminera son morceau en saisissant le piano entre ses dents…

X joue le concerto en sol pour violon, de J.-S. Bach, comme lui seul est peut-être capable de le faire sans avoir l’air d’un intrus ; il a cette liberté dans l’expression, cette beauté sans apprêt dans la sonorité, dons nécessaires à l’interprétation de cette musique.