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toujours l’air d’être des invités plus ou moins bien élevés : ils subissent patiemment l’ennui de leur emploi, et s’ils ne s’en vont pas, c’est qu’il faut qu’on les voie à la sortie ; sans cela, pourquoi seraient-ils venus ? — Avouez qu’il y a de quoi avoir à jamais l’horreur de la musique »… Comme j’arguais d’avoir assisté et même participé à des enthousiasmes très recommandables, il répondit : « Vous êtes plein d’erreurs, et si vous manifestiez tant d’enthousiasme, c’était avec la secrète pensée qu’un jour on vous rendrait le même honneur ! Sachez donc bien qu’une véridique impression de beauté ne pourrait avoir d’autres effets que le silence… ? Enfin, voyons ! quand vous assistez à cette féerie quotidienne qu’est la mort du soleil, avez-vous jamais eu la pensée d’applaudir ? Vous m’avouerez que c’est pourtant d’un développement un peu plus imprévu que toutes vos petites histoires sonores ? Il y a plus… vous vous sentez trop chétif et vous ne pouvez pas y incorporer votre âme. Mais, devant une soi-disant œuvre d’art, vous vous rattrapez, vous avez un jargon classique qui vous permet d’en parler d’abondance. » Je n’osai pas lui dire que j’étais assez près d’être de son avis, rien ne desséchant la conversation comme une affirmation ; j’aimai mieux lui demander s’il faisait de la musique. Il releva brusquement la tête en disant : « Monsieur, je n’aime pas les spécialistes.